Philippe Forest construit, livre après livre, au moyen d’une écriture sublime, une œuvre puissante et bouleversante. Il présentera ce mercredi 21 mai à Ombres Blanches le captivant « Et personne ne sait » (Gallimard).
Il est des œuvres qui, comme les villes les plus fascinantes, aiment vous prendre par la main et vous balader de rues étroites et sombres en avenues larges et lumineuses. Vous voulez résister, vous êtes un peu perdu, mais pour rien au monde vous ne voudriez être ailleurs. Le nouveau roman de Philippe Forest, « Et personne ne sait », publié chez Gallimard, est ainsi. En suivant la trace d’un peintre au siècle dernier auquel la rencontre avec une étrange petite fille va redonner l’inspiration, le romancier raconte, dit-il, « toujours la même histoire », celle de l’absence de l’enfant disparu. C’est vrai et c’est faux : les livres de Forest nous parlent de littérature avant tout, celle, faste et sublime, qui tente – et parfois parvient – à faire sens de ce monde et des blessures qu’il nous inflige.
On est frappé dès les premières pages de ce roman par le jeu sur la temporalité, le jeu entre réel et fiction, entre rêve et réalité. Vous aimez jouer avec le champ des possibles qu’offre la littérature ?
J’aime cette expression, que j’ai d’ailleurs utilisée quand j’ai présenté – à Toulouse, entre autres – mon livre sur James Joyce : la littérature sert à cela, à explorer l’infini des « champs des possibles. » Je trouve au passage que la littérature actuelle a un peu perdu cette idée de jeu, pour creuser une veine, disons néonaturaliste, qui ne me va pas. Je ne me satisfais pas d’une réduction du roman à des questions de société.
« Et personne ne sait » est un conte de Noël, qui se déroule à New-York enneigé, et la petite fille chante une sorte de comptine au narrateur…
Cette idée de conte est présente dès mon premier livre, « L’Enfant éternel », où je citais le Peter Pan de J. M. Barrie. Dans ce nouveau livre, je voulais rendre cette atmosphère féerique que l’on a l’habitude de retrouver à Noël. Encore une fois, c’est une atmosphère qui est assez éloignée de la littérature française, qui a pris un tour ces dix dernières années, qui ne peut me satisfaire. Mes livres sont lus à l’étranger et l’on me dit souvent, là-bas, qu’ils ne ressemblent pas à l’idée que l’on se fait de la littérature française, qu’ils sont intemporels.
Ce peintre vous ressemble, et vous parlez également de vos livres passés pour mener ce récit de métafiction. Pourquoi ne pas en avoir fait un écrivain, tout simplement ?
Vous avez compris le subterfuge, alors ça a marché ! Je voulais empêcher un « moi » trop direct pour permettre à la littérature d’être le miroir de la peinture. Je suis à vrai dire fatigué des livres dans lesquels les écrivains usent de la fiction pour accréditer leur propre génie, le mettre en scène.
« L’art n’imite pas la réalité : c’est l’inverse »
Eben Adams rencontre cette jeune fille Jennie, dont il décide de faire le portrait. L’enfant disparue est au cœur de votre œuvre. Vous avez souvent rejeté l’idée d’une littérature cathartique – pourrait-elle aider à donner un sens à la tragédie en ce qu’elle a de plus absurde, d’incompréhensible ? [Pauline, la fille de Philippe Forest, est décédée d’un cancer à l’âge de quatre ans. Ce drame, raconté dans « L’enfant éternel », hante tous ses livres. NDLR]
J’ai toujours été hostile à l’idée d’une catharsis par l’écriture. Je préfère celle de construire la vie, rebondir. L’écriture peut aider à faire du sens à partir de non-sens.
Mais vous écrivez que « Jennie grandit à la convenance d’Adams. Écrire l’absence de l’enfant disparue, c’est l’inventer à nouveau ?
Écrire, c’est inventer, imaginer, cela a à voir avec la superstition : il ne sert à rien de croire si l’on ne croit pas à la puissance des signes. Je ne crois pas que la littérature triomphe de la mort ou qu’elle ressuscite les disparus. Chacun de mes livres est une manière d’exprimer l’absence et le manque… sans imaginer que l’enfant va tout à coup réapparaître.
Vous parliez des signes et des images. Dans le livre, vous écrivez : « La réalité imite l’image que l’on en tire »
C’est un paradoxe très puissant, que j’aime et que j’ai découvert dans un petit livre d’Oscar Wilde, « La décadence du mensonge. » On dit que l’art, les images imitent la réalité qu’elles reproduisent. Alors que c’est exactement l’inverse.