Il y a 150 ans, la Garonne sortait de son lit et noyait Toulouse sous des eaux déchaînées. 574 morts entre Ariège et Haute-Garonne, 1 400 maisons détruites, des ponts arrachés, et des années de reconstruction. Aujourd’hui, une crue de cette ampleur peut-elle encore arriver ? Pour le géographe Philippe Valette, la réponse est claire : oui.
Philippe Valette a soutenu sa thèse sur la Garonne dans les années 2000. Il travaille depuis au CNRS et à l’université Jean-Jaurès. Dénivelé, bassin-versant, il connaît le fleuve comme sa poche, et n’a aucun doute. « Un événement comme 1875 peut se reproduire, c’est une certitude. »


La crue de 1875 a atteint officiellement 8,32 mètres à Toulouse, mais certaines mesures locales suggèrent des hauteurs encore plus importantes. Et selon plusieurs chercheurs, la crue la plus importante n’a pas encore eu lieu. Tout dépendra de la localisation des précipitations, de leur intensité, et de la saturation du bassin-versant.


« La configuration du bassin est particulièrement propice. La Garonne possède le record de hauteur en France. Et le changement climatique augmente les risques. »
Des crues toujours possibles… en pire
L’exemple de Saint-Béat, en 2013, et dans les Hautes-Pyrénées voisines, reste dans les mémoires : une crue soudaine, des coulées de boue, des routes emportées. « Cela peut se reproduire, et en pire. Les Pyrénées peuvent bloquer les précipitations, provoquant des épisodes de pluie très concentrés. » À Valence, en Espagne, de véritables vagues avaient submergé la ville. « Les épisodes sont de plus en plus fréquents et extrêmes ».


Toulouse mieux protégée, mais pas invincible
« On est bien mieux protégés qu’en 1875. Les digues ont été renforcées, en béton, et bien entretenues. Mais il ne faut pas croire qu’on est à l’abri de tout. » Toulouse est aujourd’hui équipée pour encaisser une crue centennale, mais pas au-delà de 10 ou 12 mètres. Or, selon Philippe Valette, une telle crue n’est pas impossible. Et toutes les communes autour de Toulouse ne sont pas logées à la même enseigne.
« Roques, Pinsaguel, Portet… tout dépend de l’intensité. Et même si Portet est en partie construite sur un bombement, des zones restent exposées. »
Une reconstruction lente et difficile
En 1875, seul le pont Neuf avait résisté à la force des eaux. Les ponts d’Empalot, de Saint-Pierre et de Saint-Michel avaient été emportés. La ville avait dû mettre en place des ponts provisoires pendant des années. « Il a fallu longtemps pour reconstruire. Et surtout, il faut rappeler qu’on avait 1 400 maisons détruites. »

La rive gauche, avec le quartier Saint-Cyprien, a été la plus touchée. Mais la rive droite, pourtant construite sur une terrasse alluviale depuis l’époque romaine, n’a pas été totalement épargnée.


Quand la Garonne déborde, elle laisse des traces
Vers le quai de Tounis, le Bazacle, ou encore les Sept Deniers, jusqu’à 1,50 mètre de sédiments ont été retrouvés après la crue. La Garonne « coupe », selon les géographes. Elle évite les méandres, déborde, submerge.


À Saint-Cyprien, la digue du cours Dillon avait cédé le 23 juin 1875 à 18 h, noyant le quartier. « Deux autres brèches s’étaient ouvertes : au moulin de Vivent (avenue de Muret) et rue Viguerie. » Les maisons en torchis ou en terre n’avaient aucune chance.
Des expositions pour garder la mémoire
Une exposition remarquable retraçant cette crue historique est à découvrir à la Maison de la Recherche de l’université Jean-Jaurès, à partir du 23 juin, dans le cadre du colloque international : « Autour de l’aïgat de juin 1875 dans le Sud-Ouest de la France. Quels apports des grandes crues du passé à la gestion actuelle du risque ? » L’exposition sera ensuite visible au CAUE 31 (24 rue Croix Baragnon), du 4 juillet au 15 septembre, puis dans d’autres lieux comme les Maisons Garonne. Une exposition des Archives municipales, présentée sur 3 cubes sur le pont Saint-Pierre, une autre exposition retrace, photos et croquis d’époque à l’appui, l’histoire de l’inondation majeure qu’a connue Toulouse en 1875. Des récits d’habitants sont retranscrits et témoignent du choc collectif et de la désolation vécue par le quartier Saint-Cyprien. Elle sera visible jusqu’au 30 septembre.