Associer musique expérimentale et bouchées gastronomiques, c’est le pari sensoriel relevé par le Festival Les Siestes. Une dégustation musicale inédite où l’orgue, la harpe et le goût ont fusionné pour surprendre les sens.
« Dégustez la musique », telle était l’invitation étrange du concert d’ouverture des Siestes, ce mercredi soir à l’église du Gesù. Il faut dire que le festival est coutumier des écoutes atypiques : l’hiver dernier, il avait par exemple organisé une nuit sonore dans la nef des Jacobins. Cette fois-ci, 300 personnes étaient conviées à écouter le concert de l’organiste Loriane Llorca et de la harpiste Sissi Rada, et à déguster en même temps des bouchées créées par la cheffe cuisinière Céline Gambini à partir des textures, des émotions et des sensations provoquées par leur musique. Une invitation à avoir « une oreille sur la langue », à questionner notre curiosité par le goût, qu’il soit musical ou alimentaire… Née lors d’une résidence organisée avec la plateforme Shape +, financée par l’Union européenne, cette union du goût et de l’ouïe a surpris l’assistance.

Lors d’un très beau moment de chant a cappella des deux artistes, dont les voix d’anges se répondaient, chacun a été invité à goûter une cuillère, contenant un cube bleu clair. « Ça sent la menthe, c’est bon, comme un chamallow acidulé », commente un quadragénaire. Céline Gambini a élaboré une recette à base de lait de coco, d’huile essentielle de menthe poivrée, d’acide malique, « pour le piquant », de baies de goji et de cranberries, pour le côté « féerique », de vinaigre de badiane et gingembre. « C’est un instant qui m’a donné la chair de poule, lorsque je suis venue les écouter pendant leur résidence, explique la chef. J’ai essayé de traduire cette légèreté, cette fraîcheur et cette acidité. » « Ça a le goût de la harpe, plaisante une spectatrice. Je trouve que ça colle bien avec la musique. »
Une expérience « mystique »
Un peu plus tard, le grand orgue Cavaillé-Coll fait entendre des vibrations sourdes, de puissantes nappes sonores depuis l’étage. Une sucette au chocolat très noir s’invite sur les palais. « Clou de girofle ! », murmure quelqu’un. On chuchote dans les rangs, certains n’aiment pas l’amertume du cacao, sont gênés par l’épice. « C’est quoi ce fil ? » Au milieu, s’est cachée une feuille d’Oxalis. La cheffe a imaginé un dessert très peu sucré, aux graines de tournesol torréfiées, le tout passé au clou de girofle, qui vient tapisser l’intérieur de la bouche. Parfait sur un morceau d’orgue très dense, sombre. Ça fonctionne ! À la sortie, les sens ont été touchés. « J’adore, c’est une expérience un peu mystique, même si c’est trop bizarre », commente un jeune homme. Un autre se dit surtout « bouleversé par la musique, qui se suffisait à elle-même ». Deux copines ont « l’impression de planer » : « On venait pour faire une soirée qui sort de l’ordinaire, c’est réussi ! C’est hyper original. »
Pour la cuisinière Céline Gambini, le défi était de taille : « Ça a été complexe à élaborer. Quel matériel utiliser et à quel moment, sans perturber le concert ? Comment faire pour que cela résiste à la chaleur ? Cela a été une approche atypique pour toutes les trois, explique-t-elle. J’ai voulu créer comme une sorte de méditation, pour amener les gens à se concentrer. J’adore sortir la cuisine de son contexte, être libre d’expérimenter. »
Pour Loriane Llorca, l’organiste, c’était une première de « mêler la cuisine à la musique ». Elle ajoute : « Il y a des similitudes dans le champ lexical, les textures, les nappes… C’est hyper enrichissant, et aussi un peu déstabilisant, mais très positif. » D’une puissance incroyable, le final qu’elle a joué sur le grand orgue a mis tout le monde d’accord. Le Festival Les Siestes débute ce jeudi et durera jusqu’à dimanche dans le jardin de Compans-Caffarelli.