Ce mardi 17 juin 2025, l’association Anticor a annoncé avoir déposé une plainte contre le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, pour « détournement de fonds publics, complicité et recel de détournement de fonds publics, financement illicite de campagne électorale ». Ladite plainte a été déposée le 6 juin dernier.
Les faits remonteraient à la période précédant les élections municipales de 2020, scrutin durant lequel Jean-Luc Moudenc a sollicité un deuxième mandat auprès des Toulousains. Pour rappel, il a été réélu en juin 2020 avec 51,87 % des voix.
Sur quoi repose la plainte d’Anticor contre Jean-Luc Moudenc ?
Sur quoi repose cette plainte ? Anticor précise à Actu Toulouse avoir reçu une série de documents qui, selon l’association, « laissent penser qu’à partir de septembre 2019, M. Moudenc aurait mobilisé des agents publics, notamment des membres de son cabinet et des fonctionnaires territoriaux, pour participer, sur leur temps de travail, à sa campagne électorale et œuvrer à sa réélection ».
Au total, toujours d’après Anticor, « une dizaine de collaborateurs » seraient concernés. Sur la base des documents qui lui ont été envoyés, l’association estime « qu’un système aurait été mis en place à cet effet, avec la participation active de son directeur de cabinet et de sa directrice adjointe ».
Actu Toulouse n’a pas reçu ces documents et n’a donc pu prendre connaissance de leur contenu, dévoilé lundi 16 juin par nos confrères de Médiacités.
Ce que révéleraient les documents reçus par Anticor
Dans un communiqué de presse, Anticor détaille ce que révéleraient les documents que l’association a reçus : « À cette période, le cabinet du maire comprenait outre ces deux responsables, un certain nombre de chargés de mission, à qui le directeur de cabinet et la directrice adjointe de M. Moudenc auraient donné des instructions pour travailler sur la campagne électorale, à partir d’adresses e-mail non nominatives et de pseudos, afin de préserver leur anonymat.
Parmi les tâches confiées, certains collaborateurs auraient dû rédiger des discours pour le maire sortant, préparer des éléments de langage pour un meeting qui s’est tenu le 16 janvier 2020, ou encore élaborer une note destinée à préparer M. Moudenc à une interview avec le magazine Challenges.
« D’autres élus de la mairie auraient donné des instructions »
« Il apparaîtrait également que d’autres élus de la mairie de Toulouse auraient donné des instructions similaires aux chargés de mission, suggérant une organisation systématique de cette mobilisation de membres du cabinet du maire à des fins électorales », avance par ailleurs Anticor.
L’association ajoute : « Les ressources et le matériel de la mairie auraient, en outre, été utilisés pour accomplir ces missions : plusieurs documents (notes de préparation de débats, tableaux d’éléments de langage, etc.) auraient été créés ou modifiés sur les ordinateurs affectés aux différents collaborateurs du maire ».
Une campagne électorale « en partie effectuée sur le temps de travail d’agents publics » ?
« La campagne électorale de M. Moundenc (sic) aurait donc été en partie effectuée sur le temps de travail d’agents publics et avec les moyens de la collectivité », conclut Anticor. « Enfin, certains fonctionnaires territoriaux auraient eux aussi été mobilisés dans le cadre de la campagne électorale. Parmi eux, la directrice générale de Tisséo (le réseau de transports en commun de la métropole toulousaine) ainsi que le directeur général de l’agence d’urbanisme et d’aménagement de Toulouse. Ces deux fonctionnaires auraient rédigé des notes destinées à fournir du contenu et des arguments pour la campagne du maire sortant ».
Si ces faits sont avérés, l’affectation par M. Moudenc de personnels rémunérés par des fonds publics à des tâches liées à sa campagne pourrait constituer un détournement de fonds publics.
L’association détaille : « En outre, le fait pour les directeurs de cabinet et les élus d’avoir participé à ce système, en donnant des instructions aux agents tout en étant pleinement conscients de l’objectif électoral poursuivi, pourraient recevoir la qualification pénale de complicité et recel de détournement de fonds publics ».
Pourquoi Anticor a porté plainte ?
Dans ce même document, Anticor explique le sens de sa démarche : « Si les faits sont avérés, cela signifierait que des moyens humains et matériels financés par la collectivité — donc par l’argent des contribuables — auraient été détournés pour servir des objectifs électoraux. En outre, une telle situation porte atteinte à un principe fondamental : l’égalité entre les candidats ».
En effet, les autres concurrents de M. Moundenc (sic) lors de la campagne n’ont pas eu accès à ces ressources publiques, ce qui a nécessairement déséquilibré la campagne électorale.
Anticor estime : « C’est pourquoi l’infraction de financement illicite de campagne électorale pourrait également être caractérisée ».
C’est « très classique et très courant partout en France » réagit la majorité
Depuis la plainte d’Anticor, dans la majorité municipale, seul Pierre Esplugas-Labatut, ex-porte-parole de l’équipe de campagne municipale 2020 et actuellement porte-parole du groupe « Aimer Toulouse » au Conseil municipal, a réagi via un communiqué de presse :
« Sur le fond, que des membres de cabinets de collectivités, dont le rôle est par essence politique, participent à titre personnel à la campagne électorale est très classique et très courant partout en France. En effet, appartenir à un cabinet d’élu ne prive nullement ses membres de leurs droits de citoyens et donc de la possibilité de participer à la campagne électorale de leur choix. »
Ce que dit le droit
En la matière, le droit est très clair. Il a été résumé dans une fiche « Agents publics et règles électorales », une synthèse réalisée par le Centre de gestion de la fonction publique territoriale du Département du Loiret (CDG 45).
Dans cette fiche, le CDG 45 rappelle que l’article L.52-8 du Code électoral dispose que « les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».
Dans ce cadre, est « considéré comme un service, la mise à disposition gratuite de tout ou partie du temps de travail d’agents de la collectivité ou de l’établissement qu’elle soit à l’initiative de l’agent lui-même ou de sa hiérarchie ».
Les agents territoriaux et la campagne électorale
De même, les agents territoriaux ne peuvent pas participer à la campagne électorale d’un candidat dans l’exercice de leurs fonctions. S’ils sont mobilisés pour les besoins de la campagne électorale d’un candidat, le Conseil d’État (10 avril 1996, n°162476 et n° 162981) a estimé que le coût retenu pour cette prestation doit être intégré dans le compte de campagne. Il s’agit alors d’un avantage en nature, à intégrer au compte de campagne du candidat en bénéficiant qui ne doit pas être évalué par référence à une quote-part du traitement de cet agent, mais en fonction du coût usuel des prestations correspondantes, ce qui s’avère souvent plus onéreux. Dans cette hypothèse, le candidat à l’élection se rend coupable de prise illégale d’intérêt et de détournement de fonds publics, délits prévus et réprimés aux articles 432-12 et 432-15 du Code pénal, et l’agent de recel de détournement de fonds publics (TGI Paris, 15 décembre 2011, n° 9834923017).
Ce qui prévaut pour les directeurs généraux des services
Pour ce qui est des cabinets d’élus en fonction, avec des agents exerçant des emplois fonctionnels, la fiche du CDG 45 rappelle :
« En ce qui concerne les agents exerçant des emplois fonctionnels (directeur général des services, directeur général adjoint ou directeur des services techniques) à la lisière du politique et de l’administratif ou technique, et les collaborateurs de cabinet qui exercent une activité directe ou indirecte à l’activité politique de l’élu local, ils ne peuvent assister l’autorité territoriale candidate à sa propre succession, sur leur temps de travail. Ils doivent le faire en dehors du temps de travail ou se mettre en congé. À défaut, leur activité sera considérée comme un don d’une personne morale à un candidat, prohibé par la législation sur le financement des campagnes électorales (Conseil d’État, 8 novembre 1999, n° 201966).
Ces « membres de son cabinet et des fonctionnaires territoriaux » évoqués par Anticor ont-ils réellement travaillé pour la campagne du candidat Moudenc sur leur temps de travail ? C’est ce que les enquêteurs devront démontrer, si le parquet de Toulouse décide de donner suite à la plainte de l’association, sa seconde en quelques mois, après celle déposée en janvier contre X pour soupçons d’emploi fictif visant ce même Jean-Luc Moudenc et sa fonction de contrôleur général économique et financier.