Gros coup de frein pour la LGV Bordeaux-Toulouse ? La ligne du Grand Projet Sud-Ouest (GPSO) pourrait se retrouver en difficulté. C’est du moins ce qui inquiète les partisans de la LGV après la publication par L’Humanité d’une note interne de Bercy datée du 13 mai 2025. De nombreuses pistes de « gisement d’économies » y sont mentionnées, pour un total de 1,4 milliard d’euros d’économies. Parmi les recommandations, le document préconise de « réexaminer » des projets de lignes ferroviaires annoncés, comme les nouvelles liaisons Provence-Côte d’Azur Nice-Marseille et le Grand Projet Sud-Ouest (GPSO), dont la LGV Bordeaux-Toulouse fait partie. Le projet est-il réellement menacé ? Et où en est-il ? Éléments de réponse.
Un projet colossal aux financements déjà répartis
Pour mener à bien ce projet de GPSO, 14 milliards d’euros doivent être investis selon une répartition précise : 40 % financés par l’État, 40 % par 24 collectivités territoriales de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie et 20 % attendus par l’Union européenne.
Christophe Huau, directeur de l’agence GPSO, préfère calmer le jeu. Ce jeudi 26 juin 2025, lors d’une conférence de presse, il a assuré que le GPSO disposait de « tous les financements souhaités pour avancer au rythme que l’on souhaite ».
Il rappelle toutefois que l’agence n’a aucun regard sur les capacités financières de l’État, engagé à hauteur de 40 %, soit 5,6 milliards d’euros : « On n’a reçu aucun contre-ordre et sur des projets comme celui-ci, les discussions se font jusqu’au bout. On s’adaptera aux décisions des pouvoirs publics. »
« Un grave manquement à la parole de l’État », dit Jean-Luc Moudenc
Et si l’État décidait de réduire ou supprimer ses engagements ? Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, et Carole Delga, présidente de la région Occitanie, affichent leur détermination à se mobiliser.
« Ce serait inadmissible et un grave manquement à la parole de l’État », martèle le maire (DVD) de Toulouse. Il rappelle que dès 1991, Michel Rocard avait promis la LGV jusqu’à Toulouse. Et qu’en 2022, sous Jean Castex, un engagement clair avait été signé : 40 % pour l’État, 40 % pour les collectivités, 20 % pour l’Union européenne.
Alors que les travaux ont déjà démarré à Toulouse et Bordeaux, « stopper maintenant » le projet « serait complètement incohérent, surtout si, dans le même temps, l’État défend la poursuite du chantier de l’A69. On ne peut pas défendre l’un et abandonner l’autre ».
Et de prévenir :
Si cela devait arriver, nous, les élus locaux, nous retrouverions dans le bureau du ministre comme nous nous étions retrouvés en septembre 2017, Carole Delga, Alain Rousset, Alain Juppé, et moi-même, dans le bureau d’Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, pour défendre la réalisation du projet.
« La France a besoin de grandes infrastructures », dit Carole Delga
« Cette hypothèse de réexamen est un non-sens », fustige Carole Delga. Pour la présidente (PS) de la Région Occitanie, « cette ligne est attendue par des millions de citoyens » et représente un outil majeur pour l’attractivité et le désenclavement du Sud-Ouest.
« Tout est prêt : les premiers travaux sont lancés au nord de Toulouse et au sud de Bordeaux, 2,5 milliards d’euros ont été engagés, les études avancent, les collectivités sont unies. Et l’on voudrait tout remettre en cause pour une logique purement comptable ? »
Elle insiste : la LGV « crée de la richesse pour les citoyens, les entreprises et l’État. Il faut une vision au-delà de 2026. La France a besoin de grandes infrastructures. La transition écologique l’exige. » Contrairement à ce qu’affirme la note de Bercy, « ce projet est maîtrisé, planifié, financé avec de nouvelles recettes, des aides européennes et une contribution locale historique. »
Carole Delga ajoute que « de nouvelles sources de financement existent » : une part des bénéfices des autoroutes, une taxe sur les poids lourds en transit international, les quotas carbone européens. « La France peut et doit investir sans aggraver sa dette. Il y a des solutions. Encore faut-il le vouloir. »
Un scandale financier en vue ?
De son côté, le groupe Communistes, Républicain et Citoyen d’Occitanie dénonce un choix qui « serait contraire à tous les engagements pris par l’État depuis des années et serait une trahison vis-à-vis du Sud-Ouest, de ses habitantes et habitants ».
Il évoquent notamment un « recul majeur pour le climat », ainsi que pour l’aménagement du territoire et de l’équité entre les métropoles. « Un renoncement serait inacceptable », fustige-t-il.
« Il faut également rappeler que ce projet, au-delà d’être un engagement ancien de plusieurs décennies, a déjà été en partie payé par des investissements d’Occitanie dans la LGV Bordeaux-Paris et à travers un impôt levé à cet effet. Au scandale d’une promesse non tenue s’ajouterait donc un scandale financier. »
Verdict d’un recours en justice sous peu
Une autre ombre vient assombrir le tableau du projet de LGV dans le Sud-Ouest : un recours déposé par 81 élus de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie risque-t-il de fragiliser son avenir ?
Ces représentants, issus de collectivités directement concernées ou intégrées contre leur gré dans le financement du GPSO, demandent l’annulation pure et simple du plan de financement, qu’ils jugent entaché d’irrégularités.
Selon eux, les élus locaux ont été appelés à se prononcer dans l’urgence sur un montage estimé à 14 milliards d’euros, sans garanties solides sur plusieurs sources de recettes, notamment une taxe bureaux encore hypothétique et une participation européenne incertaine. « Si ces recettes n’intervenaient pas, ce seraient bien les collectivités signataires – et donc leurs contribuables – qui devraient compenser. »
C’est donc un recours de fond qui sera examiné ce vendredi 27 juin 2025 par le tribunal administratif de Toulouse. Interrogé sur le sujet, Christophe Huau est « confiant » concernant « la qualité du dossier ». « On n’a pas d’inquiétude et c’est à la justice de faire son travail en fonction des arguments des uns et des autres ».
Des travaux déjà engagés dans la région toulousaine
Mais alors où en est le projet, dont les concertations ont eu lieu entre 2009 et 2014 ? Étapes de la phase 1, les Aménagements ferroviaires au nord de Toulouse (AFNT) et les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux (AFSB), déclarés d’utilité publique en 2016, sont en cours de réalisation depuis 2023.
Entre Saint-Jory et Toulouse, ce sont 19 kilomètres qui sont en cours de réalisation. Deux voies ferroviaires vont voir le jour « afin d’élargir le tuyau à l’arrivée dans l’avant gare pour avoir plus de capacité » autour de la Ville rose, résume Christophe Huau, directeur de l’agence GPSO.
Concrètement, 7,7 kilomètres de protections acoustiques et 6 gares nouvelles en pôles d’échanges multimodaux vont voir le jour sur ce tronçon toulousain, pour une mise en service totale prévue en 2031. Une mise en service partielle du terminus de Castelnau-d’Estrétefonds devrait être possible à l’automne 2026.
Il faudra attendre 2032, que l’ensemble des aménagements de la future LGV Bordeaux-Toulouse soient terminés, afin d’embarquer à bord de la Ligne Nouvelle.
Enquête de terrain, géotechnique et biodiversité en 2025
Sur le reste du tracé, des études sont encore en cours, notamment des inventaires écologiques, pour l’archéologie préventive et pour les sondages géotechniques, réalisés en cette année 2025.
Cela signifie que le GPSO doit continuer à recenser les espèces animales et végétales, réaliser des tests pour connaître les caractéristiques du sol, mais également des diagnostics archéologiques, afin de déceler d’éventuels vestiges.
1 300 sondages ont actuellement été réalisés en Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne et Lot-et-Garonne. « C’est très important puisqu’il faut bien connaître le sol pour les fondations et la réalisation des 300 ouvrages prévus sur le tronçon Bordeaux-Toulouse », explique Sylvain Soteras, directeur adjoint de l’agence GPSO.
Une consultation publique à venir
Une nouvelle étape réglementaire est aussi en préparation pour l’automne 2025. Dans le cadre de la poursuite des sondages géotechniques et des diagnostics archéologiques sur des secteurs sensibles du tracé, une demande d’autorisation environnementale a été adressée aux services de l’État.
Conformément à la réglementation, une consultation publique sera organisée sous la forme d’une PPVE (Participation du public par voie électronique).
Cette procédure permet à chacun de s’informer et d’exprimer son avis en ligne sur les impacts environnementaux du projet. L’étude d’impact actualisée sera ainsi accessible au public pendant cette consultation.
Les observations recueillies seront prises en compte par l’État, aux côtés des avis d’organismes comme le Conseil national de la protection de la nature, avant une décision finale attendue début 2026.
Quid des acquisitions foncières et compensations écologiques ?
L’agence GPSO se félicite d’avoir obtenu « 95 % d’accords amiables » pour l’acquisition du foncier, dont « la majorité » concerne des surfaces agricoles et forestières, « plutôt que du bâti ».
En compensation, 500 hectares de boisements ont également été plantés à ce jour… Bien loin des 4 500 hectares de surfaces impactées par l’ensemble du projet.
Mais l’agence GPSO assure qu’elle ne prend « pas le sujet à la légère ». Imposé par l’État, un suivi sera réalisé sur plusieurs décennies, afin de s’assurer du développement et de la survie des espèces plantées.