Les dermatologues se font rares dans la région Occitanie avec 3,4 spécialistes pour 100.000 habitants. « On fait face à une pénurie », alerte un spécialiste toulousain. Est-ce la faute à des rendez-vous abusifs, à la médecine esthétique ou aux pouvoirs publics ? Ici Occitanie fait le point.
« Du soleil avec modération ». À l’approche de l’été et des grandes vacances, les campagnes de prévention solaire se multiplient. L’Oncopole de Toulouse lance la sienne ce lundi 23 juin et rappelle qu’« un cancer sur trois est un cancer de la peau » en France.
Chaque année, jusqu’à 243.500 cas de cancers cutanés sont diagnostiqués dans le pays, selon Santé Publique France. Dans 80 % des cas, ils sont liés à des expositions excessives au soleil. L’Oncopole de Toulouse rappelle ainsi les réflexes simples à adopter face au soleil : chapeau, lunettes de soleil, t-shirts anti UV et crème mais aussi dépistage en cas de doute.
Douze mois d’attente pour avoir un rendez-vous dans le Tarn-et-Garonne
Mais pour se faire dépister et être pris en charge à temps, encore faut-il pouvoir consulter un dermatologue. Les créneaux et les médecins prêts à prendre de nouveaux patients se font rares partout en France. Au niveau national, il faut en moyenne trois mois pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue et dans certains départements, comme le Tarn-et-Garonne, le délai d’attente est parfois de plus d’un an. Sur Doctolib, les seuls rendez-vous régulièrement disponibles pour de l’épilation au laser ou du dé-tatouage mais pas pour des problèmes de peau et de grains de beauté.
« C’est un petit peu long, on a trois ou quatre mois d’attente chez moi mais bon, on n’a pas le choix, on fait avec », raconte Laëtitia, une patiente de la clinique Médipôle Garonne à Toulouse qui a fait le déplacement depuis Labarthe-sur-Lèze pour consulter. « Il faut souvent compter au moins six mois de délai, renchérit Carole qui habite Muret. C’est énorme mais je suis contente parce qu’au moins, j’ai réussi à avoir un rendez-vous ». En cas d’urgence, « on est mal, on ne sait pas où aller, il n’y a pas de dermatos, ni de généralistes. On a du mal à trouver des rendez-vous médicaux, c’est très inquiétant », ajoute-t-elle.
Les délais à rallonge ont tendance à décourager la prise de rendez-vous et « les patients abandonnent », déplore Marie-Ange Léophonte, directrice générale de la Ligue Nationale contre le Cancer en Haute-Garonne. « Les gens nous disent qu’ils sont conscients qu’ils doivent aller consulter et montrer leurs grains de beauté mais qu’ils ne trouvent pas dermatologues, ça retarde énormément les diagnostics, c’est un problème parce que le jour où on va les dépister, c’est sans doute quand les symptômes seront visibles », alerte-t-elle.
En cas de cancer de la peau, la survie dépend du stade au moment du diagnostic. Selon le programme américain SEER, la survie relative à 5 ans est de 98 % au stade localisé et 15 % au stade métastatique, rapporte l’Institut national du cancer. Les derniers chiffres disponibles pour la France estiment à 93 % le taux de survie à 5 ans des personnes diagnostiquées entre 2010 et 2015.
Un engorgement des rendez-vous non indispensables
Mais comment expliquer le peu de disponibilité des spécialistes ? Pour le Dr Roland Viraben, dermatologue libérale à Toulouse et représentant en Occitanie du Syndicat National des Dermatologues Vénéréologues, les patients peinent à trouver des créneaux à cause de l’engorgement des rendez-vous pour des problèmes non essentiels. « Je crois qu’il y a parfois des prises de rendez-vous abusives. Le point de départ de ce qui doit déclencher la consultation en dermatologie, c’est la rencontre avec son médecin traitant. Ce n’est pas à un patient de décider qu’il a une nécessité de consulter un dermato », insiste-t-il.
« C’est le médecin traitant qui juge la nécessité d’un avis dermatologique ou non. Si on respecte la filière de soins, c’est-à-dire la prise en charge au niveau de la médecine générale, les consultations en dermatologie vont aller en diminuant », poursuit le Dr Roland Viraben qui estime qu’en passant d’abord par un généraliste, les patients peuvent obtenir un rendez-vous chez un dermatologue en une à deux semaines. Mais « le problème, c’est que beaucoup de personnes n’ont plus de généralistes aujourd’hui, souligne le Professeur Vincent Sibaud, onco-dermatologue et responsable de la cancérologie cutanée à l’Oncopole de Toulouse. « Mais effectivement, quand on a un médecin traitant, il peut faire un premier filtre et peut contacter directement un dermatologue, ça permet d’avoir des créneaux d’urgence ».
« On fait face à une pénurie de dermatos »
L’engorgement des rendez-vous est une piste pour expliquer l’absence de disponibilité des dermatologues, la médecine esthétique en est-elle une autre ? Trop de spécialistes s’orientent-ils aujourd’hui uniquement vers des actes esthétiques ? En Occitanie, près de 5 % des dermatologues de la région se tournent vers la médecine esthétique, selon le Syndicat National des Dermatologues Vénéréologues. « C’est un cache-misère, on se focalise sur l’activité esthétique mais ce n’est pas ça le cœur du problème », assure le Dr Raphaël Besnier, dermatologue à la clinique privée MédiPôle Garonne à Toulouse. Selon lui, le réel problème est le manque d’effectifs de la profession, « on fait face à une pénurie de dermatos », insiste-t-il.
La France et l’Occitanie comptent 3,4 dermatologues pour 100.000 habitants. « Si on veut pouvoir assurer un accès un minimum correct de la population aux soins, il faut que nous soyons à-peu-près 5 dermatologues pour 100.000 habitants », explique le Dr Raphaël Besnier. Dans la région, 306 dermatologues exercent actuellement, dont 149 dans l’ancienne Midi-Pyrénées, pour plus six millions d’habitants.
« Le problème principal c’est le manque de dermatologues sur le territoire, on est sous le seuil de pauvreté de soins. Ce ne serait pas un problème que des dermatos fassent de l’esthétique, si nous étions assez nombreux, la question ne se poserait même pas. Le cœur du problème, ce sont les arbitrages qui ont été faits depuis ces 30 dernières années de réduire les effectifs des dermatologues. Actuellement, on est vraiment dans l’incapacité numérique de faire face aux besoins de la population », poursuit-il.
Pas assez d’étudiants en médecine formés
« Le gouvernement n’ouvre pas assez de places dans cette spécialité pour les étudiants médecine et la pénurie ne fait que s’aggraver, assure le dermatologue. Par exemple, cette année, si on veut compenser le nombre de dermatos qui partent à la retraite, il aurait fallu 130 postes ouverts pour les internes, et au mieux, nous en aurons 103″.
Un avis partagé par le Professeur Vincent Sibaud. « Cette absence de rendez-vous est liée à l’arrêt de la formation, la dermatologie a longtemps été considérée par les pouvoirs publics comme non prioritaire au niveau médical. En plus, c’est compliqué d’accéder à la dermatologie, les étudiants en médecine doivent être dans les 800 premiers au niveau national pour y entrer, c’est la première spécialité qui part et il y a très peu de postes », explique l’onco-dermatologue et responsable de la cancérologie cutanée à l’Oncopole de Toulouse.
La situation risque encore de s’aggraver dans les dix prochaines années. Selon les prévisions, le nombre de dermatologues va continuer de baisser, la région s’attend à passer à 288 dermatologues en 2029 (contre 306 actuellement), soit un dermatologue pour 20.600 habitants.
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