Après son adoption par le Sénat, la loi de validation de l’autoroute A69 est soumise lundi 2 juin à l’Assemblée nationale. Objectif : passer outre la décision du tribunal administratif de Toulouse (Haute-Garonne) qui a annulé les autorisations environnementales. Mais cette loi est-elle juridiquement dans les clous ? Décryptage.
La proposition de loi, déposée par des élus du Tarn, vise à valider la construction de l’autoroute A69 entre Castres (Tarn) et Toulouse (Haute-Garonne) en lui reconnaissant une raison impérative d’intérêt public majeur. Les sénateurs l’ont adoptée à une large majorité, le 15 mai 2025. Et ce lundi 2 juin, c’est au tour des députés de se prononcer sur ce texte qui fait bondir des juristes. Mais des doutes persistent sur la solidité de cette loi. Nous avons demandé des explications à Dorian Guinard, enseignant-chercheur et maître de conférences en droit public.
« Une loi de validation, c’est une possibilité pour le législateur de venir neutraliser les effets d’une décision de justice, pour qu’il n’y ait pas des contentieux en pagaille« , explique Dorian Guinard. Il en existe depuis une quarantaine d’années, et c’est « balisé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel« . Pour être valide, cette loi doit respecter deux critères.
- « Le premier, c’est qu’il ne faut pas que la décision de justice soit devenue définitive. Ce qui ne pose pas de problème pour l’A69. » En effet, la cour administrative d’appel ne s’est pas encore prononcée.
- Un deuxième critère important, c’est qu’il faut un motif impérieux d’intérêt général. Les députés et sénateurs du Tarn, à l’origine de la proposition de loi de validation, disent que ce motif impérieux, c’est le désenclavement économique.
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« Le problème, c’est que déjà, sur le désenclavement économique, il y a cinq pages du tribunal administratif de Toulouse dans sa décision qui montrent qu’il n’y a pas de désenclavement économique existant, rappelle Dorian Guinard. Parce qu’en réalité, la région de Castres est une région qui est relativement dynamique du point de vue économique, et que l’instauration d’une autoroute ne permettra pas un désenclavement économique manifeste de tout ça.«
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L’argument financier du montant des indemnités que l’État devrait rembourser au concessionnaire en cas d’abandon du projet est-il un motif impérieux ? Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « on en est à un stade où le simple motif financier n’est pas constitutif d’un motif impérieux d’intérêt général. Il faudrait éventuellement que les finances publiques de l’État soient mises en péril par un éventuel remboursement pour que ça soit le cas. Ce qui ne l’est pas du tout pour l’A69. » Pour Dorian Guinard, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une loi de validation ne peut être utilisée pour neutraliser une décision de justice en elle-même et se substituer au pouvoir juridictionnel.
« Du coup, il est très probable que le Conseil constitutionnel, s’il prolonge sa jurisprudence existante, censure la loi de validation en elle-même. Et surtout, il est probable, voire très probable, du coup, que cette loi viole aussi à la fois l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi la directive Habitat et son article 16« , estime le juriste.
Le droit européen est inscrit dans la Constitution française. « Donc tout ce qui provient du droit de l’Union européenne est supérieur à toutes les lois françaises.«
Avec cette loi de validation de l’A69, deux textes entrent en jeu. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui est aussi supérieure aux lois, reconnaît le droit au respect d’un procès équitable.
« Quand vous prenez ce type de loi de validation, et que vous n’avez pas de motif impérieux d’intérêt général, vous privez les gens d’une partie du procès. Parce que si loi est votée, les associations de défense de l’environnement ne pourront plus critiquer l’existence de la raison impérative d’intérêt public majeure parce qu’elle s’imposera au juge.«
Autre élément du droit européen : la directive pour la conservation des habitats naturels, ainsi que de la faune et de la flore sauvages. « Quand on analyse la chose, les juges de Toulouse pourront tout à fait décider que ce type de loi est contraire à la directive et son article 16, s’oppose à une proclamation lapidaire par la loi législative sans considération des espèces protégées.«
Sur ce point précis des espèces protégées, Dorian Guinard explique que pour obtenir une dérogation, trois critères cumulatifs doivent être respectés :
- la raison impérative d’intérêt public
- l’absence de solution alternative satisfaisante
- le maintien en état de conservation favorable des espèces dans leur aire de répartition naturelle
« C’est l’article 411-2 du code de l’environnement qui dispose de tout ça« , explique Dorian Guinard. Et pour le juriste, il y a « d’extraordinaires doutes » concernant les deux derniers points.
Conseil constitutionnel, procédure administrative en appel, Conseil d’État et Cour de cassation. Entre le contrôle de la loi de la validation et la décision sur le fond des juges administratifs, le temps risque d’être très long. « On aura la certitude légale dans dix-huit mois« , estime Dorian Guinard. Et une autoroute qui devrait être finie d’être construite.
« On va se retrouver éventuellement avec une situation qui, pour le coup, serait vraiment ubuesque, pour reprendre les mots connus maintenant de tout le monde, où on aurait une autoroute flambant neuve illégale, ce qui n’est pas forcément terrible« , alerte le maître de conférences en droit public.
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