Après avoir remplacé sa lettre de motivation Parcoursup par une recette de brownie sur TikTok, Morgane, lycéenne toulousaine, a été recadrée par le rectorat de Toulouse, déclenchant un effet Streisand et relançant le débat sur Parcoursup et la liberté d’expression.
C’est ce que l’on appelle un retour de bâton ou un effet Streisand. Après la diffusion d’une vidéo d’une lycéenne sur Tik Tok, Morgane, où elle raconte avoir remplacé sa lettre de motivation de Parcousup par une recette de brownie, le rectorat de Toulouse a décidé de la recadrer.
« Elle décrédibilise Parcoursup, estime Anne Viadieu, responsable du service académique de l’orientation et de Parcoursup dans un entretien accordé à la Dépêche du Midi. Nous avons simplement contacté le chef d’établissement afin qu’il reçoive la jeune fille et lui explique que nous étions informés de la diffusion de cette vidéo. Nous lui avons fait remarquer qu’elle ne jouait pas le jeu. Parcoursup est une procédure à fort enjeu collectif. Chaque année, malheureusement, ce type de blague de potache se reproduit. Systématiquement, nous réagissons de la même manière : nous demandons au chef d’établissement de convoquer l’auteur et d’engager un dialogue à la fois responsabilisant et éducatif. »
« Un dialogue à la fois responsabilisant et éducatif ». Une description très éloignée de la version donnée par Morgane, elle-même, à France 3 Occitanie. « On m’a dit qu’il fallait que je supprime la vidéo. On ne m’a pas laissé le choix. Il a fallu que je le fasse immédiatement. Et on m’a demandé d’arrêter les médias et de parler de cette histoire. Je n’ai pas trop aimé la manière dont ça a été fait. » La jeune fille évoque également des menaces voilées concernant le bon déroulement de ses futures années universitaires en LEA. Sollicité, le rectorat de Toulouse ne souhaite pas en dire plus.
Pour Pascale Rossard, présidente de la FCPE 31, Parcoursup est un système « dont on connaît les nombreuses limites et écueils« . Même si elle craignait la réponse du rectorat et d’éventuelles sanctions, la représentante des parents d’élèves estime la réponse de l’éducation nationale équilibrée : « J’ai trouvé la réponse plutôt éducative, le fait de la renvoyer vers le proviseur. Après, qu’elle ait reçu un avertissement ne m’étonne pas plus que ça. En revanche, l’interdiction de parler aux médias, c’est autre chose. On peut se dire que c’était une manière de la museler, mais aussi que c’était peut-être pour la protéger. Lorsqu’on est dans un cadre de protection d’un adulte envers un jeune, c’est toute la difficulté de l’exercice.«
Sur les réseaux, le témoignage de Morgane réalise à nouveau le buzz effectuant des millions de vues sur les réseaux sociaux. Un véritable effet Streisand, ce phénomène médiatique involontaire qui se produit lorsqu’en voulant empêcher la divulgation d’une information on obtient le résultat inverse : l’information que l’on voulait dissimuler attire et concentre l’attention médiatique.
De nombreux internautes dénoncent ainsi l’attitude de l’institution comme l’humoriste Christine Berrou. « (Morgane) a ni plus ni moins prouvé que l’avenir de nos enfants repose sur un système aussi absurde qu’opaque mais en fait c’est pire que ce que vous croyez » estime la comédienne aux plus de 35.000 followers. « Dis donc le rectorat de Toulouse, ce n’est pas joli du tout, déclare-t-elle. Utilisation de son autorité pour intimider, censure administrative illégitime, violation de la liberté d’expression et du droit à l’information, manquement au devoir de transparence administrative (…) mais comme vous l’avez demandé si gentiment on ne va pas en parler.«
Un avis que n’est pas loin de partager Pierre Priouret, secrétaire général du SNES-FSU Toulouse. : « La véhémence avec laquelle le rectorat réagit montre qu’il sent bien qu’il y a un problème sur Parcoursup. Pour moi, la surréaction du rectorat est la preuve qu’ils craignent qu’il y ait un débat. Sauf qu’au lieu d’interroger la globalité du système, la sélection que ça met en place, les biais sociaux de représentation, de tri social que ça permet indirectement, ils vont s’en prendre à une élève, alors qu’il y a un problème de fond majeur avec Parcoursup. »
Car pour l’enseignant en mathématiques dans un lycée, « avec Parcoursup, on n’évalue rien du candidat. On est dans un processus totalement déshumanisé. Il n’y a pas assez de place pour tout le monde et donc effectivement on rentre dans une logique où il faut se vendre, une logique de marché, une logique de sélection, sur une logique où seuls certains peuvent accéder à certaines formations. C’est la sélection accrue. […] La jeune fille a mis le doigt, je pense, évidemment sans le savoir, sur un vrai problème de fond : la question de la sélection et de la nécessité pour les élèves de devoir se vendre. On sait parfaitement que ce qui permet aux élèves de réussir, ce n’est pas d’avoir rédigé une bonne lettre de motivation. »
La lettre de motivation ne représente que 6 % de la sélection pour la filière de psychologie à l‘université Toulouse 2 Jean Jaurès, à laquelle Morganne a envoyé sa candidature, ce qui questionne sur sa réelle nécessité et sur l’information donnée aux lycéens et à leurs parents sur le mode de sélection sur Parcoursup. Notamment dans un contexte où les enseignants de l’établissement n’ont pas les moyens nécessaires pour lire toutes les lettres de milliers de candidats.
Morgane doit-elle s’inquiéter pour son avenir universitaire ? « Non, franchement, non, juge Pierre Priouret. Ça, c’est du bluff. C’est terrible, d’ailleurs, que l’institution en soit à mentir pour essayer de faire peur à des élèves. »
En juin 2022, Lucièle avait déjà dénoncé les failles de la plateforme Parcoursup dans une vidéo TikTok qui avait cumulé plus de 2 millions de vues. Selon Ici Béarn Radio, la jeune femme suit sans problème des études de droit à l’université de Bayonne et entend encore parler de son canular resté dans les mémoires.
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