Un duel au pistolet, une frontière tendue et l’honneur en jeu : ce Café Jaurès revient sur un épisode oublié où le chantre du pacifisme faillit mourir pour ses idées. Pourquoi ce geste radical ?
Un épisode méconnu et saisissant de la vie de Jean Jaurès sera raconté le mardi 6 mai à 18 h à l’amphithéâtre Jean-Jacques Rouch, par le préfet Frédéric Potier : le jour où le grand pacifiste faillit mourir en duel.
Tout commence en novembre 1904 par une polémique déclenchée par une insulte, comme le relate en détail Frédéric Potier dans son livre Jaurès en duel (éditions Le Bord de l’eau, soutenu par la Fondation Jean-Jaurès). Un enseignant du lycée Condorcet se moque de Jeanne-d’Arc en affirmant qu’elle a été victime de simples hallucinations. L’affaire fait grand bruit dans la presse. Jean Jaurès prend rapidement la défense de l’enseignant. La droite nationaliste manifeste dans les rues, ce que ne manque pas de railler L’Humanité, le journal récemment fondé par Jaurès.
Paul Déroulède, 58 ans, fondateur de la puissante Ligue des patriotes, exilé en Espagne à la suite d’un coup d’État manqué en 1899, saisit l’occasion pour s’en prendre à Jaurès. Il l’accuse d’être « le plus odieux pervertisseur de consciences » du pays et dénonce sa « propagande infatigable pour démilitariser et décatholiciser la France ». Le député du Tarn, alors âgé de 45 ans, décide de demander réparation par duel. Déroulède, surpris, accepte et choisit le pistolet comme arme et l’Espagne comme lieu.
Les proches de Jaurès sont effondrés. La rédaction de L’Humanité est atterrée à l’idée de perdre son fondateur. Jaurès réunit ses journalistes pour s’expliquer : « Chaque jour, je reçois des lettres haineuses. Je ressens l’humiliation monter, comme si des limaces me grimpaient sur la peau et des crachats me couvraient. Je veux arrêter cela par un geste ridicule, mais nécessaire ! Je ne veux pas qu’on se croie tout permis et qu’on me mette dans la rue le bonnet d’âne. »
Le face-à-face au bord de la Bidassoa
Le 6 décembre 1904, en fin de matinée, sur un terrain situé en bord de Bidassoa, en face de l’île des Faisans, les deux duellistes échappent aux balles tirées. Selon les règles de l’époque, ils sont censés se serrer la main à l’issue du duel, pourtant totalement illégal. Mais Déroulède refuse ce geste, estimant que ce duel opposait deux visions antagonistes de la France, et non deux hommes.
Une analyse que partage Rémy Pech, président de l’association des Amis de Jean Jaurès à Toulouse, qui organise ce Café Jaurès : « Non, ce duel ne peut pas mettre à mal l’image de pacifiste laissée par Jean Jaurès dans l’opinion. Il ne s’est pas opposé à Déroulède pour son honneur, mais pour défendre sa vision politique du pays face à ce qu’il considère comme un de ses plus honnis ennemis. »