Fraudes structurées, identités fictives, réseaux transnationaux : les fraudeurs aux aides sociales ont changé de visage. Derrière les 10,3 millions d’euros de fraudes détectées en 2024 à la CAF de Haute-Garonne, c’est un bras de fer technologique et juridique qui se joue.
Ils avancent masqués, mais bien organisés. En 2024, les fraudeurs aux prestations sociales ont forcé la CAF de la Haute-Garonne à se transformer en véritable tour de contrôle numérique. Derrière les 10,3 millions d’euros de fraudes détectées – une hausse de 15 % en un an – se cache un phénomène plus vaste et plus inquiétant : la montée d’une fraude sociale structurée, parfois en réseau, qui oblige l’administration à une course technologique permanente.
« Nous ne pouvons plus penser la fraude comme un acte isolé, opportuniste. Elle est désormais organisée, méthodique, souvent transfrontalière. Et elle évolue vite », alerte Jean-Charles Piteau, directeur de la CAF départementale. Faux documents, fausses identités, scénarios coordonnés à grande échelle : les fraudeurs exploitent à fond les failles de la dématérialisation. Ce sont parfois des professionnels du détournement de fonds, bien plus proches de la prédation économique que du petit arrangement personnel.
Pour y faire face, la CAF se muscle. En 2024, la direction Contrôles, Finances et Lutte contre la Fraude a été réorganisée, avec l’intégration du juridique au cœur du pilotage. Le volume de vérifications a été massif : 1 196 724 situations passées au crible, dont plus d’un million de contrôles automatisés, nourris par les échanges de données avec France Travail ou la DGFIP. Et ce n’est qu’un début.
« Les fraudeurs nous obligent à adapter nos outils… »
Car la riposte se construit aussi par l’anticipation. Une veille active entre caisses permet d’identifier les nouvelles formes de fraude dès qu’elles apparaissent ailleurs : « Si une arnaque est repérée à Paris, on doit être capable de la bloquer ici avant qu’elle ne s’installe. Les fraudeurs nous obligent à adapter nos outils en permanence. C’est eux qui nous poussent à progresser », reconnaît sans détour Jean-Charles Piteau.
Parmi les 1 276 cas de fraudes qualifiées dans le département, le montant moyen atteint 8 097 euros. Les profils sont variés, mais les cas les plus graves – 5 % environ – font systématiquement l’objet d’un dépôt de plainte au parquet, lors de rendez-vous trimestriels avec le substitut du procureur. La CAF ne veut plus simplement récupérer l’argent : elle entend frapper là où ça fait mal.
Et pourtant, ces sommes restent marginales à l’échelle des 2,18 milliards d’euros versés à 356 000 allocataires en Haute-Garonne. « La fraude ne peut pas être considérée comme un sport local », tempère Céline Fourcade, directrice financière. Mais son pouvoir de nuisance, lui, est bien réel : il sape la confiance dans le système, nourrit les fantasmes, mine la solidarité.
Face à cela, la CAF n’a pas d’autre choix que d’évoluer. Car dans ce bras de fer silencieux, celui qui prend du retard a déjà perdu.