Pierre Juston, professeur de droit à l’Université Capitole et représentant de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité à Toulouse, réagit au projet de loi sur l’aide à mourir voté le 27 mai à l’Assemblée nationale.
Quelle est votre réaction après le vote du projet de loi sur l’aide à mourir, hier, à l’Assemblée nationale ?
C’est un moment historique. L’ADMD, notre association, existe depuis 45 ans. Depuis un demi-siècle, ce débat anime la société. Ce premier vote à l’Assemblée est une avancée majeure. Mais il faut être clair : ce n’est qu’une première étape. La loi n’est pas encore votée définitivement, elle va passer par la navette parlementaire, entre le Sénat et l’Assemblée, ce qui prendra encore plusieurs mois. Ce vote montre aussi que la majorité des parlementaires est favorable à la loi.
Pourquoi ce droit vous tient-il personnellement à cœur ?
Cela fait 13 ans que je milite à l’ADMD. On est pro-choix, on considère que la dignité est relative à ce que la personne souhaite ou non pour sa fin de vie. Pour moi, c’est d’abord une question de liberté publique et de droit fondamental. J’ai accompagné des proches en fin de vie et qui souhaitai avoir le choix de pouvoir partir, et cela a renforcé ma conviction. Ce combat est aussi laïque. On voit d’ailleurs que les oppositions les plus virulentes viennent souvent de cercles religieux intégristes, qui diffusent des contre-vérités, comme si cette loi autorisait à « tuer les gens ». Ce n’est absolument pas le cas : il s’agit de permettre à des personnes gravement malades de partir dignement, dans un cadre extrêmement strict.
Justement, quelles sont les conditions prévues dans le texte ?
C’est l’une des lois sur l’aide à mourir les plus restrictive du monde. Elle prévoit cinq conditions principales : Être majeur ; être de nationalité française ou résident stable en France ; être atteint d’une maladie grave et incurable, avec un pronostic vital engagé en phase avancée ou terminale ; endurer des souffrances physiques ou psychologiques réfractaires aux traitements ; être capable de formuler une volonté libre et éclairée, plusieurs fois, jusqu’au dernier moment. La question des mineurs est pour le moment exclue du texte.
Certaines restrictions vous semblent-elles problématiques ?
Oui. Par exemple, la loi privilégie le suicide assisté : la personne doit elle-même faire le geste, sauf incapacité. Nous, on demandait que le patient puisse choisir entre faire le geste ou qu’un médecin le fasse pour lui, selon sa volonté. C’est une atteinte à la liberté de conscience. Chaque conscience doit être respectée jusqu’au bout, comme celle du médecin qui bénéficie heureusement d’une clause de conscience. L’Assemblée nationale a fait du suicide assisté le principe et de l’euthanasie, une exception. On aurait aimé une liberté de choix plus forte pour le patient. Autre problème : l’absence des directives anticipées dans le texte. Des cas comme celui de Vincent Lambert ne sont donc pas couverts.
Quelle est la position du corps médical sur ce texte ?
Contrairement à ce qu’on entend souvent, la majorité des médecins sont favorables. Un sondage IFOP récent montre que 74 % d’entre eux soutiennent l’aide à mourir, en phase avec environ 90 % de la population. Les Français sont favorables à avoir le choix selon ce qui leur arrive.
Y a-t-il eu des réactions hostiles ?
Bien sûr, mais elles viennent d’une minorité, souvent affiliée à des réseaux religieux intégristes. Mais ce n’est qu’une part infime des croyants et pratiquants.
Certains craignent des dérives eugénistes…
C’est totalement absurde. On parle d’un droit individuel, encadré, avec vérifications médicales, où personne ne décide à la place du patient. Ce n’est ni une obligation ni une solution imposée. J’ai vu des comparaisons faites entre les militants pro-choix et le nazisme… C’est scandaleux. Il n’y a aucun rapport : la loi n’impose rien à personne, elle donne un droit.
Qui vérifie que les critères sont respectés ?
Les médecins, en collégialité. Plusieurs praticiens étudient chaque demande. Un organe de contrôle vérifie ensuite que tout s’est déroulé dans les règles.
Que pensez-vous du passage au Sénat ?
Je crains que le texte soit dénaturé. La majorité sénatoriale est hostile. On espère que l’Assemblée nationale tiendra bon ensuite. Mais pendant ce temps, des gens continuent à mourir dans des conditions indignes, sans avoir le choix, ou à s’exiler, faute d’un cadre légal en France.
Justement, que font les malades aujourd’hui ?
Beaucoup partent en Suisse, en Belgique. Mais cela coûte cher et crée une inégalité entre ceux qui peuvent se le permettre et les autres. C’est pourquoi il est urgent que la France adopte une loi claire, dans l’esprit de solidarité nationale.