Grâce à l’analyse de fossiles de nourrissons vieux de deux millions d’années, le professeur toulousain José Braga et son équipe révèlent une complexité insoupçonnée aux origines du genre Homo. Une avancée scientifique majeure qui bouleverse la représentation linéaire de l’évolution humaine.
À première vue, ce ne sont que des fragments. Quelques centimètres d’os fossilisé, à peine plus grands qu’une phalange. Pourtant, ces minuscules vestiges – deux mandibules et un maxillaire – exhumés en Afrique australe et orientale, pourraient réécrire les premières lignes du récit de l’humanité.
L’étude, publiée ce lundi dans Nature Communications, est le fruit de plus de deux décennies de fouilles et d’analyses dirigées par José Braga, professeur d’anthropobiologie à l’Université de Toulouse, et Jacopo Moggi-Cecchi, professeur à l’Université de Florence.
Car il s’agit bien là de nourrissons, de très jeunes enfants du genre Homo, morts il y a près de deux millions d’années. Et si leur découverte suscite aujourd’hui autant d’émoi dans la communauté scientifique, c’est qu’elle vient ébranler l’une des représentations les plus tenaces de notre histoire : celle d’une humanité aux origines linéaires, simple et progressive. « Les différences dans les structures dentaires et osseuses sont visibles dès les premiers mois de la vie », explique José Braga, également directeur de fouilles sur le site sud-africain de Kromdraai. « Cela montre que des trajectoires de développement très différentes coexistaient dès les débuts du genre Homo. »
Une avancée exceptionnelle
Les fossiles de nourrissons sont une denrée rare en paléoanthropologie. Leur conservation est improbable. Leur identification, complexe. C’est donc une avancée exceptionnelle que d’en avoir retrouvé trois, dans des états remarquablement lisibles. Le premier, mis au jour dans la basse vallée de l’Omo, en Éthiopie, est attribué à Homo habilis. Les deux autres proviennent d’Afrique du Sud : une mandibule à Kromdraai et un maxillaire découvert à Drimolen – tous deux associés à une forme précoce d’Homo erectus. Ce sont surtout les comparaisons fines entre leurs structures dentaires et crâniennes qui ont permis aux chercheurs de détecter des différences de développement très précoces.
Dès les premiers mois de vie, les espèces humaines suivaient des chemins divergents. Cette pluralité développementale remet en cause l’idée d’un tronc commun homogène d’où auraient émergé, de manière linéaire, les diverses espèces humaines connues. « L’arbre évolutif est bien plus touffu que nous ne l’imaginions », résume Jacopo Moggi-Cecchi. Les données issues de ces nourrissons fossiles appuient l’hypothèse d’une bifurcation bien antérieure dans le genre Homo, potentiellement dès l’époque où les Australopithèques, bipèdes archaïques, peuplaient encore l’Afrique.
Autrement dit : au lieu d’un début d’humanité clair et progressif, nous faisons face à un foisonnement d’essais évolutifs, de lignées humaines aux destins variés. Certains se sont éteints. D’autres, comme celle de Homo sapiens, ont poursuivi leur course jusqu’à aujourd’hui. L’étude toulouso-florentine repose sur une alliance méthodologique innovante : imagerie médicale de pointe, modélisation 3D, analyses microstructurales… autant d’outils mobilisés pour lire dans ces os minuscules les grandes lignes de notre passé. L’Histoire ne fait que commencer.