Un témoignage glaçant. Aurore, 34 ans, a évoqué à la barre de la cour criminelle les abus sexuels subis par ses sœurs et elle dans le huis clos d’une famille adepte de la secte du Mandarom.
Une fois par mois, il y avait ces réunions. « Une secte dans la secte ». Comme ses deux sœurs, Aurore, 34 ans, a été victime de viols et agressions sexuelles lorsqu’elle était gamine. En toile de fond, le Mandarom, auquel adhéraient son père, Hervé L, et l’un de ses amis, Bernard J., tous deux jugés à Toulouse pour ces faits criminels.
Elle décrit l’emprise au quotidien. « À un niveau rarement rencontré dans l’histoire de l’emprise, sans refuge ». En 1998, Gilbert Bourdin, le gourou et fondateur de la secte décède. Mais c’est à travers le père d’Aurore que le « seigneur » revient parler aux fidèles, lors des fameuses réunions mensuelles.
« Il se faisait passer pour un médium »
« Il se faisait passer pour un médium. Il était mon père, mais dans ces moments-là, sa voix devenait celle du gourou, celle du seigneur, un événement surnaturel », confirme Emmanuel, 36 ans. Le frère d’Aurore dit avoir très longtemps « eu peur de lui ». « Il avait des comportements anormaux, tenait des propos incohérents. Il était violent, partait au quart de tour. Il faisait le gentil dehors. Personne n’a connu ce qu’on a vécu dans le cadre intime ».
C’est dans ce huis clos oppressant, étouffant, dysfonctionnel, qu’ont grandi ces quatre enfants. Une mère absente, absorbée par ses croyances. Un père illuminé, à la dérive sur le plan psychique. Jusqu’à la révélation des faits, des années plus tard par Lucie, la jumelle d’Aurore. Une scène de bain qui dérape, avec le « grand ami » Bernard (ce qu’il nie). Les « p’tites sœurs », comme on les surnomme, ont 6 ans.
« Je repasse cette scène, ça me pétrifie »
« On sort de la baignoire. Il nous parle d’un jeu. Je me vois assise nue sur le tapis de bain. J’ai la vue occultée. J’entends le bruit d’un pantalon. On m’attrape la main et on la pose sur quelque chose. Sans poil et avec poils. C’était rapide comme contact. Comme une caresse ».
Aurore ne comprend pas. « Sur le coup, je n’ai pas vu le mal. J’étais une gamine ». Avant de ne pas vouloir comprendre.
Quand le mal-être de sa jumelle explose en 2017, la vérité crue s’impose. « C’était son sexe. Je repasse cette scène et ça me pétrifie ». Une réunion est organisée entre la mère des jumelles et Bernard. « Je refuse d’y assister, se blâme Aurore. On avait une mission tellement importante, sauver la planète et que vienne un âge nouveau. L’individu n’était rien. J’ai même dit à ma sœur : t’es contente, t’as foutu la merde ! ».
L’entre-soi l’emporte. « On était entourés d’adultes hypocrites qui ne nous aidaient pas et nous traitaient de menteurs. Il a fallu accepter qu’on était seuls », se désespère Emmanuel. Lucie s’enfonce. Elle commet l’irréparable. « Son départ a été balayé d’un revers de la main, pire qu’un chien », sanglote Aurore, défendue par Me Pierre Alfort et Me Alice Collinet.
« Je planais, il y avait des couleurs… »
Car « l’incarnation du gourou » organisait lui-même des soirées méditation perverses chez lui. La fameuse « farine » (aux psychotropes ?) qu’il fallait avaler. « Je planais, il y avait des couleurs », se remémore Myriam, l’aînée de la fratrie, devenue « une maman triste » qui « pense au suicide tous les jours ». Un soir, encore mineure, elle émerge sur son lit. « Mon père était en train de baisser ma culotte et de regarder mon sexe. Après, je n’ai aucun souvenir ».
Aurore, elle, a pris le même cocktail. « Et deux kirs framboise ». Cette autre nuit, elle se réveille avec le pénis de son père en elle. « J’écarte la couverture de mon visage. Je pleure. Je demande à mon père d’arrêter. Il remet la couverture. Je sombre à nouveau. Le lendemain matin, il était jovial, prévenant : tu as bien dormi ma chérie ? J’avais des sensations au niveau du sexe, sinon, vu l’effrayante normalité de ce petit-déjeuner, je me serais dit que j’avais rêvé ».
Les deux accusés encourent un maximum de 20 ans de prison. Le verdict est attendu vendredi.