Le 23 juin 1875, Toulouse est frappée par la pire crue de son histoire. Le quartier Saint-Cyprien dévasté, plus de 200 morts à Toulouse, des rues en ruine : un drame humain gravé dans la mémoire collective. Nous avons sorti des archives un reportage paru le 26 juin 1875.
Le 25 juin 1875, Toulouse se réveillait meurtrie. La Garonne, sortie brutalement de son lit, venait de provoquer la plus terrible crue de son histoire. Le quartier de Saint-Cyprien, sur la rive gauche, était dévasté. Dans les colonnes de « La Dépêche du Midi », édition du 26 juin, un reporter témoignait ce jour-là de l’ampleur de la catastrophe. À travers ses mots, ce sont les visages et les voix d’un Toulouse disparu que l’on entend encore.

« Le sol n’est plus qu’un monceau de ruines. Les grilles qui entouraient l’ancien château-État sont renversées sur le champ de Mars », écrivait le journaliste, en décrivant la place Laganne méconnaissable.

Des maisons éventrées, des rues transformées en cimetières de meubles et d’objets, des cadavres transportés dans des fourgons : le tableau est apocalyptique.
« Un regard des plus lamentables »
Rue de la République, « la plupart des maisons se sont écroulées. L’eau avait atteint une hauteur de deux mètres ». Sur les trottoirs : des matelas, des poutres, des débris de buffets, « des objets de cuisine ». Dans la rue Courte, les débris entassés « offrent un regard des plus lamentables », écrit « La Dépêche ». Un artisan ébéniste « y avait toute leur fortune et ils n’ont plus rien », poursuit le reporter, dans une phrase douloureusement elliptique.

Le bilan est lourd, à la fois humain et matériel. La place du Chairedon, aujourd’hui place Olivier, est méconnaissable. Des maisons sont réduites à leur façade, lézardée, prête à s’effondrer. « Elles n’offrent aucune sécurité », alerte le chroniqueur. Les autorités tentent d’empêcher les passants d’approcher.
Un chat figé, un chien qui hurle
Le journaliste poursuit sa traversée du quartier, et le tableau devient presque irréel. Il décrit l’intérieur d’une maison dont la façade s’est écroulée : « au deuxième étage, une bibliothèque garnie de livres, des effets suspendus, une commode, une table… sur laquelle se trouve un petit chat qui miaule. Il paraît hésiter à quitter la place. »

Quelques mètres plus loin, un chien épagneul pousse des hurlements devant un amas de gravats. Les vivants comme les animaux semblent sonnés, perdus dans un paysage de guerre.
« Des instruments de musique en ruine »
Place Olivier, la culture aussi gît dans la boue. « Des pianos, des guitares, des harmoniums », note le reporter, qui observe aussi « des os de chevaux, de grands bahuts, des chapeaux défoncés… »

Les scènes de désolation s’enchaînent : brasserie éventrée, auberge en ruine, distillerie disparue, maisons écroulées sur des kilomètres, de l’avenue de Bayonne à la Patte-d’Oie, en passant par les allées de Garonne. Partout, le même constat : « Nous ne rencontrons que maisons en ruines, arbres effarés, désespérés. »
« Un enterrement à dix heures du soir »
Mais le plus terrible reste sans doute le nombre de victimes. Le bilan évoqué dans l’article est glaçant : 1 200 morts. « Hier, à dix heures du soir, on a procédé à l’enterrement de 115 victimes », rapporte le journaliste. Les sauveteurs n’ont pu tirer que quelques survivants des toits. Le reste, pris au piège, a péri dans les eaux.
L’émotion est encore palpable dans cette scène, saisie sur le vif : « Un fourgon d’artillerie passe emportant le cadavre d’un vieillard. Un prêtre est debout dans le fourgon. Les passants se découvrent avec respect. »