Avec son sixième roman, « La nuit ravagée » (Gallimard), Jean-Baptiste Del Amo rend hommage aux films et livres d’horreur de son adolescence. Un roman parfaitement maîtrisé, terrifiant et jouissif à la fois ! Il est l’un des nombreux auteurs toulousains invités au Marathon des Mots.
Auteur de six romans publiés chez Gallimard, Jean-Baptiste Del Amo construit, d' »Une éducation libertine » à « Règne animal », une œuvre captivante et régulièrement récompensée. Son dernier livre, « La nuit ravagée », rend hommage aux films et aux livres d’horreur des années 80 et 90, de Stephen King à John Carpenter en passant par le Wes Craven de « Freddy, les griffes de la nuit ». Nous sommes en 1990 à Saint Auch, une petite ville (imaginaire) de la banlieue de Toulouse. Un groupe d’adolescents désœuvrés est intrigué par une maison abandonnée… Est-elle hantée ? Et si, avec eux, on y entrait, que découvririons-nous ? « La nuit ravagée » est un « page-turner » savoureux et une réussite totale qui ne sacrifie rien à la littérature, ni au plaisir du lecteur. Interview.
Vous êtes toulousain et avez donc sans doute de beaux souvenirs du Marathon des mots, n’est-ce pas ?
J’y ai fait deux lectures – ce furent deux moments importants pour moi. L’un était à la Chapelle des Carmélites ; une violoncelliste m’accompagnait et, bien que la lecture avait lieu assez tard, j’étais surpris car il y avait énormément de monde. Le public était au rendez-vous, comme très souvent au Marathon. Ce sont des moments suspendus…
Les gens ne lisent plus, nous dit-on – ce festival est-il la preuve que la lecture ne se porte finalement pas si mal ?
C’est tout de même la réalité. Il suffit de se rendre dans les librairies : c’est un fait. Le public lit moins de littérature, de romans. La littérature est délaissée, et il est donc d’autant plus important de préserver des événements comme le Marathon des Mots, qui offre des propositions comme des lectures musicales, par exemple. Il ne s’agit pas seulement de venir se montrer et signer des bouquins.
Avec « La nuit ravagée », vous faites entrer la littérature de genre dans la prestigieuse collection « blanche » de Gallimard et au Marathon des Mots, ce n’est pas rien !
Ce n’était pas mon intention première en l’écrivant, mais j’aime l’idée de décloisonner. La littérature horrifique subit plusieurs influences, comme la BD et le cinéma, et plutôt que la cloisonner dans un paysage littéraire particulier, je voulais naviguer dans un certain type de fiction. Aujourd’hui, il y a enfin une reconnaissance du genre : il suffit de voir le succès d’un film comme « The Substance » de Coralie Fargeat ou, avant, du « Shining » de Kubrick… Ce sont des films qui cartonnent et sont primés parce qu’ils parlent véritablement de leur époque.
Vous reprenez les codes du genre tout en élevant le texte vers une littérature à part entière…
Je connais bien les films et livres de genre et je sais leurs forces et leurs faiblesses. Je ne voulais pas faire un texte qui porte une horreur gratuite. Je ne voulais pas de ce que les Anglo-saxons appellent le « jump-scare », ce sursaut causé par une violence soudaine, mais je trouvais plus intéressant d’élaborer des ambiances, prendre le temps de creuser la psychologie de chacun de ces ados, avec leurs difficultés, leur intériorité. Ainsi, la dernière partie peut virer dans l’horreur, comme un tour de train fantôme. Et dans cette fameuse maison, ils vont pouvoir libérer leurs peurs, leurs secrets, leurs fantasmes, en puisant dans tout ce que le lecteur a appris sur eux.
La maison hantée est un marqueur incontournable de la littérature horrifique…
Ado, j’habitais en banlieue toulousaine et dans le lotissement où je vivais, il y avait une maison abandonnée, elle a vraiment existé. Elle intriguait tout le lotissement. Un jour, avec des copains, on est entré et c’était comme si les habitants venaient de partir : la table était posée, tout était à sa place. On n’a jamais su ce qui s’y était passé, mais on a imaginé un départ précipité, des problèmes d’argent peut-être… Avec « La nuit ravagée », j’ai pu revenir, trente ans après, à mon lotissement de banlieue et à cette maison…