L’affaire des notaires jugés à Toulouse pour abus de faiblesse relance le débat sur le viager. Ce mode de vente complexe exige rigueur et éthique, surtout face à la vulnérabilité croissante des vendeurs âgés. Le Toulousain Me Hubert Létinier, président de la Chambre des notaires, a répondu à nos questions.
À Toulouse, trois notaires sont jugés pour avoir acquis en viager les biens de deux octogénaires dans des conditions controversées. Le parquet a requis des peines de prison avec sursis et 30 000 € d’amende pour les notaires, accusés d’abus de faiblesse et de prise illégale d’intérêts. Ils n’ont en revanche pas fait l’objet de sanctions disciplinaires de l’ordre. Le verdict est attendu le 1er juillet. Mais qu’est-ce qu’un viager ?
Comment définiriez-vous le principe juridique du viager ?
Le viager est essentiellement une modalité de paiement du prix de vente d’un bien immobilier. Un vendeur et un acquéreur s’accordent sur la vente d’un bien sans que la jouissance en soit nécessairement transférée immédiatement. Par exemple, beaucoup de viagers sont ‘occupés’, signifiant que le vendeur continue à vivre dans le bien jusqu’à son décès. C’est un contrat aléatoire puisque par définition on ne connaît pas le moment de la mort. Le prix est alors partiellement payé sous forme de ‘bouquet’ le jour de la signature, suivi d’une rente viagère. Et là, ce n’est pas fait au hasard. Il y a des règles juridiques, des règles économiques. Et en fonction de l’âge de la personne, en fonction de son sexe, en fonction de la valeur locative du bien, on va déterminer la rente viagère. Si j’ai 95 ans et que je vais en viager, ma rente mensuelle sera bien supérieure à celle que j’aurai si j’ai 60 ans.

Quelles garanties existent pour protéger les personnes âgées vulnérables, comment s’assurer de la validité du consentement ?
La capacité mentale du vendeur doit être vérifiée, parfois avec l’appui d’un certificat médical si des doutes existent quant à son consentement éclairé. Sinon, cela se fait principalement en engageant le dialogue avec le vendeur, parfois à plusieurs reprises, pour évaluer sa compréhension de l’opération.
Quels sont les aspects déontologiques encadrant les ventes viagères ?
Il n’existe pas de règles déontologiques spécifiques au viager. C’est un contrat comme un autre avec ses aléas, notamment liés à l’espérance de vie du vendeur. Le notaire a une obligation de prudence et une obligation de délicatesse. On est officier public, on ne doit pas se mettre en avant, on ne doit pas être affairiste, on ne doit pas essayer de gratter le moindre avantage pour nous.
Un notaire peut-il acheter un bien en viager ?
Oui, un notaire peut acheter un bien en viager. Il ne doit pas utiliser sa position pour influencer la vente. Il doit veiller à ce que la transaction soit équitable et qu’il ne bénéficie pas de conditions plus favorables que celles offertes à un acquéreur ordinaire. Souvenez-vous de l’histoire de Jeanne Calment (doyenne de l’humanité morte à 122 ans, ndlr), son notaire avait acheté son bien en viager, il a duré 32 ans, et son notaire est mort avant elle !
Quels sont les risques pour un notaire dans les transactions viagères ?
Le notaire doit rester vigilant quant à son rôle et ses obligations. Ce qu’il ne faut pas, c’est que le notaire soit à la manœuvre, du début à la fin. Il ne faut pas qu’il aille voir le voisin, alors que c’est son client, en lui disant, « écoute je sais que tu as des problèmes d’argent, si tu veux ta maison, moi, je te la rachète ». Son statut d’officier public lui impose une rigueur accrue. Lorsqu’on prête serment, on sait qu’on va s’astreindre toute notre vie à respecter de manière encore plus stricte que d’autres personnes les obligations, qu’elles soient pénales, civiles ou déontologiques. Ça fait partie du jeu. Leur non-respect peut entraîner de lourdes sanctions.