L’arme génétique contre un fléau apicole. Depuis la fin des années 1980, Varroa destructor, un acarien parasite venu d’Asie, représente une menace majeure pour l’abeille domestique (Apis mellifera). En se développant dans le couvain et en affaiblissant les larves, il contribue fortement à l’effondrement des colonies dans le monde. Jusqu’ici, seules les interventions chimiques permettaient de limiter les dégâts. Mais des colonies naturellement résistantes ont été observées, laissant entrevoir une alternative durable : la sélection génétique.
Deux larves d’abeille sorties de leur cellules de couvain et portant chacune plusieurs femelles Varroa (environ 1.5mm) prêtes à se reproduire. © INRAE
Des chercheurs INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), dont Sonia Eynard et Olivier Bouchez basés à Toulouse, ont conduit une étude d’envergure pour comprendre les mécanismes biologiques de cette résistance. Publiée dans la revue Molecular Ecology, elle constitue l’une des plus vastes recherches d’association génétique jamais réalisées sur les abeilles.
Un échantillon représentatif de la diversité apicole
Plus de 1.500 colonies ont été analysées, réparties dans plusieurs régions françaises. L’échantillon couvrait différentes sous-espèces d’abeilles : A. m. mellifera, ligustica, carnica, ainsi qu’une population hybride.
Chaque population comprenait des colonies de plusieurs apiculteurs, et a été traitée séparément pour éviter les biais de confusion liés à une structure trop forte de la population globale », expliquent les auteurs.
Pour évaluer la résistance au varroa, les scientifiques ont mesuré plusieurs phénotypes : niveau d’infestation, comportement d’hygiène sur le couvain, et capacité à limiter la reproduction de l’acarien. Ces données ont ensuite été confrontées au séquençage génétique des abeilles, grâce à des analyses croisées entre génotypes et comportements observés.
Une résistance diffuse et complexe
Les résultats sont prometteurs :
Les analyses confirment une base génétique à la variabilité des caractères de résistance à l’infestation par varroa. »
En tout, 60 régions chromosomiques se sont révélées associées à au moins un trait de résistance. Cependant, aucune mutation seule ne semble jouer un rôle décisif :
Seule une faible part (moins de 30 %) de cette composante génétique peut être expliquée par les régions identifiées, indiquant ainsi un déterminisme polygénique », précisent les chercheurs.
Cela signifie alors que la résistance est le fruit d’une combinaison complexe de nombreux gènes, chacun ayant un effet modéré. Parmi les mécanismes envisagés, certains gènes sont liés à la production d’ecdysone, une hormone influençant la maturation de l’acarien, tandis que d’autres interviennent dans l’olfaction via les protéines de liaison aux molécules odorantes (Odorant Binding Proteins), essentielles au comportement hygiénique des abeilles.
Des perspectives pour une apiculture plus résiliente
Cette diversité génétique, si elle est prise en compte dans les programmes de sélection, pourrait permettre de renforcer durablement la résilience des colonies.
La diversité potentielle des mécanismes impliqués suggère que si elle s’établit, la résistance pourrait être durable. »
L’étude démontre aussi que la sélection ciblée est possible, même si elle devra reposer sur des stratégies à long terme. En effet, les chercheurs écartent la possibilité de se baser sur un petit nombre de marqueurs génétiques :
La sélection génomique, dans l’hypothèse d’une baisse importante des coûts de génotypage, est une option envisageable pour améliorer la résistance du cheptel français. »
À terme, la validation des gènes candidats permettra d’identifier les variants causaux, et donc d’optimiser les programmes de sélection. En misant sur la compréhension fine des mécanismes d’adaptation, cette étude pose les fondations d’une apiculture moins dépendante de la chimie et plus en phase avec la biologie des abeilles.
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