Comprendre l’impact écologique d’immersions passées. Ils sont quatre, issus du Laboratoire d’Études en Géophysique et Océanographie Spatiales de Toulouse, et s’apprêtent à embarquer pour une mission scientifique exceptionnelle. Louisa Bekaddour, Élodie Kestenare, Marc Souhaut et Pieter Van Beek participeront en juin à la campagne océanographique NODSSUM, une initiative du CNRS en partenariat avec l’Ifremer, l’ASNR et de nombreux laboratoires français et étrangers. Leur destination : les profondeurs abyssales de l’Atlantique nord-est, où reposent plus de 200.000 fûts de déchets radioactifs immergés volontairement entre 1946 et 1990.
Opération d’immersion de fûts. © Greenpeace / Pierre Gleizes
Toulouse embarque pour les abysses
C’est à plus de 4.000 mètres de profondeur que les scientifiques toulousains vont concentrer leurs efforts. À bord d’un navire de la Flotte océanographique française, ils vont contribuer à une mission inédite : « cartographier la zone d’immersion principale et comprendre le comportement des radionucléides dans les eaux profondes ainsi que leurs interactions avec les écosystèmes marins ». Leur expertise en géophysique et en océanographie spatiale sera notamment précieuse pour exploiter les données récoltées par les instruments embarqués, dont le robot autonome UlyX.
UlyX, l’œil robotique des chercheurs
Pour cette première mission de repérage, baptisée, NODSSUM-I, le robot UlyX effectuera ses premières plongées scientifiques. Il permettra de cartographier les fonds marins avec un sonar à très haute résolution, avant de se rapprocher à une dizaine de mètres des fûts afin de le photographier.
Il survolera la zone à environ 70 mètres d’altitude afin de cartographier et repérer les fûts et se rapprochera à une dizaine de mètres environ pour les photographier », précise le CNRS.
Les données ainsi récoltées devraient permettre aux chercheurs toulousains et à leurs collègues de définir les points de prélèvements d’échantillons d’eau, de sédiments et de faune, à distance des fûts dans un premier temps.
UlyXDemo’4. © Flotte Océanographique française
Une mission sous haute surveillance radiologique
Selon le CNRS, les fûts immergés renfermeraient des déchets radioactifs produits par plusieurs pays européens entre 1949 et 1982.
Les déclarations à l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) faites par les États mentionnent des résidus faiblement ou moyennement radioactifs : boues de traitement, pièces métalliques contaminées, résines échangeuses d’ions, matériel de laboratoire et de bureau, etc. », précise le centre de recherche.
Ainsi, et même si la profondeur rend leur accès difficile, elle n’annule pas les précautions nécessaires.
Dès leur arrivée, les échantillons et instruments seront vérifiés et contrôlés afin de mettre en place toutes les dispositions de radioprotection adaptées à leur traitement et à leur stockage », souligne le CNRS.
Ce protocole strict sera suivi tout au long de la mission et lors des analyses en laboratoires à terre, afin d’écarter tout risque pour les équipes scientifiques. Le projet intègre alors une dimension rigoureuse de radioprotection, essentielle pour mener à bien cette recherche dans des conditions de sécurité maximale.
Vers une seconde campagne plus ciblée
L’un des objectifs majeurs de cette première expédition est de sélectionner les zones les plus sensibles pour une future campagne, NODSSUM-II, encore en cours de planification. Elle impliquera cette fois-ci une approche directe des fûts, à l’aide de submersibles habités ou de robots télé-opérés, tels que le ROV Victor ou le Nautile.
L’analyse des données collectées lors de cette première mission seront donc essentielles aux chercheurs pour orienter les choix scientifiques et techniques de la prochaine.
Une aventure scientifique collective
Derrière cette campagne se dessine une vaste mobilisation interdisciplinaire. Physiciens nucléaires, géologues, chimistes, biologistes et océanographes unissent leurs compétences pour cerner les impacts environnementaux des déchets radioactifs enfouis depuis des décennies. Outre Toulouse, ce sont des laboratoires de Clermont-Ferrand, Bordeaux, Strasbourg, Nantes ou encore Paris qui participent, ainsi que des partenaires étrangers au Canada, en Norvège, en Allemagne et en Espagne.
Réparer le passé et anticiper l’avenir
La mission NODSSUM, soutenue par le projet PRIME RADIOCEAN, interroge aussi l’histoire environnementale de l’Europe nucléaire. Que sont devenus ces fûts après des décennies sous l’eau ? Les radionucléides qu’ils contiennent se sont-ils dispersés dans les écosystèmes marins ? Quelle est la biodiversité aujourd’hui présente à proximité ? Autant de questions que la mission veut éclairer.
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