Le cerveau n’aime pas les oublis, surtout pendant la grossesse. Une recherche récente publiée dans la revue iScience, menée par des scientifiques du CNRS, de l’Université de Toulouse et de Montpellier, lève le voile sur les effets insoupçonnés d’un manque temporaire de méthionine (un acide aminé pourtant essentiel) pendant la gestation. Les résultats sont clairs : si le cœur et le foie résistent, le cerveau, lui, en prend un coup.
La méthionine, l’acide aminé discret mais crucial
La méthionine n’a pas la renommée de la vitamine C ou du fer. Pourtant, cet acide aminé est décrit comme « essentiel » par les chercheurs. Le corps humain ne peut en effet pas le produire lui-même, et doit le puiser dans l’alimentation, principalement via la viande ou les œufs. À l’intérieur de nos cellules, elle joue plusieurs rôles de premier plan :
La traduction protéique, la gestion du stress oxydatif ou encore la méthylation de l’ADN », précisent les scientifiques.
Malgré son importance, de nombreuses recherches récentes ont vanté les mérites d’un régime pauvre en méthionine : augmentation de la longévité, ralentissement de la croissance de certaines tumeurs… Mais jusqu’ici, peu d’études s’étaient penchées sur les effets d’une telle restriction pendant la grossesse.
Une carence courte, un impact durable
Dans leur protocole, les chercheurs ont administré un régime alimentaire pauvre en méthionine à des souris gestantes, à partir du 9e jour de gestation, pour une durée de cinq ou dix jours. L’objectif : observer l’impact sur trois organes-clés du fœtus (cerveau, cœur et foie). Le résultat est sans appel :
Le cerveau est le plus sensible à la carence en méthionine puisque c’est le seul organe dont la croissance est diminuée et ce, dès le 5e jour de carence. »
L’étude révèle que la méthionine est indispensable à un processus bien précis : la division des cellules progénitrices, ces cellules-mères qui donneront naissance aux neurones. Privées de méthionine, ces cellules entrent dans un mode veille, ou « quiescence », une sorte de pause forcée.
Ces images montrent des coupes de néocortex d’embryons de souris à 14,5 jours de gestation qui ont été soumis à un régime alimentaire maternel contrôle ou carencé en méthionine pendant 5 jours. Les noyaux de toutes les cellules apparaissent en rouge et les neurones en bleu. Dans la condition de carence en méthionine, on voit une diminution de l’épaisseur du néocortex associée à un déficit du nombre de neurones. © Sulov Saha, CNRS, MCD-CBI
Et ce n’est pas tout. L’étude souligne un fait inédite :
L’entrée en quiescence en réponse à la carence en méthionine s’effectue de manière atypique en phase S/G2 du cycle cellulaire et non pas en phase G0/G1. »
Autrement dit, ce n’est pas seulement le rythme qui ralentit, c’est tout le programme de fabrication du cerveau qui est perturbé.
Un rattrapage partiel… mais déséquilibré
Bonne nouvelle malgré tout : une fois la méthionine réintroduite dans l’alimentation, la production neuronale reprend.
La sortie de quiescence en conditions non carencées permet au tissu de reprendre la production de neurones pour atteindre le nombre attendu à la naissance », précisent les chercheurs.
Le cerveau parvient donc à se rattraper. mais il le fait au prix d’un déséquilibre : la production de cellules gliales, indispensables au bon fonctionnement des neurones, en pâtit. Ce rattrapage incomplet pourrait alors avoir des conséquences durables, même si les neurones sont au rendez-vous. Les cellules gliales, parfois injustement reléguées au second plan, jouent un rôle central dans la transmission de l’influx nerveux, la protection et la nutrition des neurones.
Une alerte pour les régimes stricts
Le message de cette étude est limpide : même de courtes carences en nutriments pendant la grossesse peuvent avoir un impact profond sur le développement du cerveau. Cela remet alors en question un dogme bien installé : « le cerveau serait épargné en cas de carence. » Ce n’est pas toujours le cas.
Pour les chercheurs, ces découvertes ont une résonance particulière dans le contexte des régimes végétaliens.
Chez l’homme, la méthionine est apportée principalement par la consommation de viande ou d’œufs », rappellent-ils.
Il devient donc crucial pour les femmes enceintes qui suivent un tel régime de trouver des sources alternatives fiables de méthionine ou de se tourner vers une supplémentation.
Cette étude, menée par l’unité de Biologie Moléculaire, Cellulaire et du Développement (CNRS/Université de Toulouse) en collaboration avec l’Institut de Recherche en Cancérologie de Montpellier, souligne l’importance d’une alimentation équilibrée pendant la grossesse. Le cerveau du futur bébé, en pleine construction, ne tolère pas les oublis, fussent-ils temporaires.
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