Un partenariat végétal aux racines profondes. À l’ère où les continents étaient déserts et la vie terrestre à peine émergente, une alliance révolutionnaire s’est formée : celle entre les plantes primitives et les champignons. Cette relation, appelée mycorhize à arbuscules, a permis aux végétaux de quitter les eaux et de s’installer durablement sur la terre ferme, il y a environ 450 millions d’années. En échange de sucres et de lipides produits par les plantes grâce à la photosynthèse, les champignons leur fournissent minéraux et nutriments précieux, notamment du phosphore. Mais derrière cette entente, un langage moléculaire se cache, bien plus complexe que prévu.
Marchantia paleacea, une plante modèle inattendue
L’équipe toulousaine du Laboratoire de recherche en sciences végétales (LRSV – CNRS/Toulouse INP/UT) et du Laboratoire des interactions plantes-microbes-environnement (LIPME – CNRS/INRAE) s’est penchée sur une espèce étonnamment peu étudiée : Marchantia paleacea, une bryophyte. Contrairement aux plantes à fleurs habituellement utilisées pour ce type de recherche, cette mousse possède un nombre très réduit de récepteurs moléculaires : seulement quatre identifiés à ce jour. Une aubaine pour les chercheurs.
Les plantes habituellement utilisées pour ces recherches, sont des plantes à fleurs et possèdent jusqu’à 22 récepteurs différents », explique Malick Mbengue, maître de conférences à l’Université de Toulouse.
Et d’ajouter :
Leur grand nombre rend l’analyse compliquée. Lorsque l’on en supprime un, les autres pourraient compenser sa fonction, ce qui masque son rôle réel. »
Un récepteur-clé : MpaLYKa
Grâce à des techniques de génétique inverse, les scientifiques ont pu désactiver un à un les récepteurs de Marchantia paleacea. Et c’est un nom barbare mais capital qui émerge : MpaLYKa. Ce récepteur s’avère indispensable à la formation de la symbiose.
Nous avons rapidement pu identifier le rôle essentiel de l’un de ces récepteurs », souligne Ève Teyssier, doctorante à l’Université de Toulouse.
L’équipe constate alors que sans MpaLYKa, aucune mycorhize ne peut se former, et donc qu’aucun partenariat avec les champignons ne peut s’établir.
Un dialogue plus riche qu’espéré
Mais la vraie surprise vient d’un autre récepteur : MpaLYR. Ce dernier reconnaît bel et bien la chitine et ses dérivés, ces fameuses molécules produites par les champignons et longtemps suspectées d’être les passeports moléculaires de la symbiose. Cependant, contre toute attente, ce récepteur n’est pas indispensable à l’association.
Si les plantes ne détectent pas les champignons uniquement via la chitine, quels sont alors les signaux additionnels à l’œuvre ? », s’interroge la chercheuse.
Une symbiose aux multiples langages
Ce constat bouleverse la compréhension actuelle de la mycorhize à arbuscules. Jusqu’ici, la communauté scientifique pensait que quelques signaux suffisaient pour enclencher la collaboration entre plantes et champignons. Mais cette étude, publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, montre que les mécanismes de reconnaissance sont bien plus variés (et probablement bien plus anciens) que ce que l’on croyait.
Derrière ce partenariat végétal fondamental, se cache donc un langage chimique encore largement inconnu, aux multiples dialectes. Un terrain de recherche fertile pour les biologistes, qui espèrent bientôt lever le voile sur d’autres signaux secrets échangés depuis des centaines de millions d’années sous nos pieds.
Vers une meilleure compréhension des relations sol-végétation
Au-delà de la curiosité scientifique, ces découvertes pourraient avoir un impact sur l’agriculture et la gestion des sols. Mieux comprendre comment les plantes choisissent leurs partenaires fongiques pourrait ouvrir la voie à des cultures plus résilientes, moins dépendantes des engrais, et plus respectueuses de l’environnement.
Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, que les grands bouleversements de la vie terrestre se jouent souvent dans l’invisible… et parfois, chez les plus petits organismes.
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