La relaxe, la relaxe et toujours la relaxe. Le mot d’ordre est le même pour les sept avocats des prévenus dans le cadre du procès de Tisséo jugé pour favoritisme dans la préparation du chantier de la ligne C du métro. Depuis lundi 12 mai 2025, sont entendus le président de Tisséo Collectivités Jean-Michel Lattes, son ancien directeur général des services Jean-Michel Evin, mais aussi les dirigeants du cabinet d’étude lyonnais Algoé soupçonné d’avoir été favorisé par Tisséo via un marché public à bons de commande unique, ainsi qu’une entreprise sous-traitante. L’ensemble de ces mis en cause ont été estimés coupables par la Procureure de la république, Véronique Benlafquih, ce mardi 13 mai matin, lors de son réquisitoire. Réquisitoire qui a unanimement – et peu étonnamment – fait bondir la défense et sidéré l’élu toulousain Jean-Michel Lattes en fin de procès.
« C’est une affaire politique ! », fustige la défense
Dans une série de plaidoiries, tous sont allés dans le même sens. « On était complémentaires. Le marché public concernait tout le monde », explique Me Elisabeth Fernandez-Begault, l’avocate de l’ex-DGS de Tisséo Jean-Michel Evin, actuellement en poste à la Métropole de Montpellier. « La procureure conteste un marché sans connaître la réglementation. Si on ne la connait pas, dites au moins comment c’est un délit de favoritisme ! »
Pour elle, comme son confrère Me Jacques Levy, avocat de Jean-Michel Lattes, président de Tisséo et ajdoint au maire, aucun élément ne constitue d’infraction pénale. Leurs deux clients se sont vus requis plusieurs mois de prison avec sursis (huit pour Jean-Michel Lattes et douze pour Jean-Michel Evin), des amendes et une peine de deux ans d’inéligibilité. Le tout, à un an des élections municipales.
Deux ans d’inéligibilité demandés, ce n’est pas neutre ! Je finis par me demander si ce n’est pas voulu et je finis par penser que le dossier est tellement mal ficelé que l’objectif était celui-là. Sa carrière serait terminée et ça sur la base d’un dossier vide. C’est une affaire politique !
« J’ai le sentiment d’être jugé sur ce que je suis et pas ce que j’ai fait »
Devant les juges, Jean-Michel Lattes a alors pris le relais de son avocat, en fin d’audience, avec une pointe d’émotion.
Je ne sais pas ce que sera ma vie, mais ce que je sais, c’est que depuis 30 ans j’ai participé à beaucoup de choses et que je suis responsable du plus grand chantier que Toulouse n’ai jamais connu et j’en suis très heureux. Je ne rougirai ni baisserai les yeux par rapport à ce que j’ai fait.
Le président de Tisséo, qui se retrouve « pour la première fois de sa vie devant un tribunal », dit avoir le sentiment « d’être jugé par rapport à ce que je suis et pas par rapport à ce que j’ai fait. Vous dites que je suis formé. C’est la première fois qu’on me reproche d’être universitaire », blâme le docteur en droit social en sollicitant le regard de la procureure de la République.
Une enquête complexe…
Si Jean-Michel Lattes use de la carte de la sensibilité, l’ensemble des avocats, eux, jouent la carte d’un dossier incompréhensible. Il faut dire que, comme le soulignait hier Actu Toulouse, ce procès est un véritable sac de nœuds. Très technique et complexe, qui relève de plusieurs lois. Devant une cour pénale se débattent des questions administratives du code des marchés publics, duquel découleraient des infractions pénales : le favoritisme et le recel de favoritisme dans le choix du cabinet lyonnais Algoé par Tisséo et la prise illégale d’intérêts à cause de la présence du fils de l’ex-DGS dans les effectifs d’Algoé.
Ces soupçons ont été avancés lors de la publication du rapport de la Chambre régionale des comptes en 2019, mais aussi par l’alerte en interne d’une juriste de Tisséo auprès du président Jean-Michel Lattes. Par obligation légale, ce dernier a donc informé le parquet de Toulouse. Tandis que la Chambre régionale des comptes saisissait directement le tribunal, ce qui explique l’absence d’ouverture d’information judiciaire.

… menée « sans esprit critique », dit la défense
« On est obligés vous et nous de faire l’instruction de ce dossier. C’est la première fois de ma carrière que je vois un dossier de cette ampleur traité de cette façon », s’agace Me Jacques Levy. Lui comme ses confrères déplorent une enquête « basée uniquement sur un rapport de la Chambre régionale des comptes » et réalisée par un policier judiciaire.
Il n’avait pas une grande compétence en droit public et c’est tout à fait normal, mais il y a aussi une question de charge de travail. On leur a fourni un rapport à charge sans leur donner les moyens de l’analyser ni le temps d’avoir un esprit critique.
Si bien que dans sa plaidoirie, Me Laurent de Caunes n’a pas hésité à comparer le parquet et enquêteur à un « bloc religieux ». « Moins on comprend la chose, plus la foi est active et moins l’esprit critique s’exerce », plaide-t-il. Mais après deux jours de procès durant lequel les juges se sont montrés « très attentifs », l’avocat de la société Algoé dit avoir confiance en « leur esprit critique qui sera suffisant ».
L’affaire mise en délibérée
Le cabinet lyonnais suspecté d’avoir été favorisé écopera-t-il des 400 000 euros d’amende dont 300 000 euros avec sursis, réclamés par la Procureure de la république ? Son responsable de mission, Gaël Villotitch, prendra-t-il les 12 mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende requis par le parquet ?

Tisséo Collectivités devra-t-il payer, aussi, les frais de son « devoir d’exemplarité » manqué ? Son président Jean-Michel Lattes et son ancien DGS, Jean-Michel Evin, ainsi que son fils Antoine Evin, seront-ils reconnus coupables par le tribunal correctionnel ? La peine d’inéligibilité sera-t-elle attribuée et si oui, avec exécution provisoire, auquel cas les deux hommes perdraient immédiatement leur poste ?
L’affaire est mise en délibérée. La décision sera rendue lundi 16 juin 2025 à 14 heures.