C’est une revendication qui s’est maintes fois affichée sur les capots des professionnels en colère. Pour se faire entendre au volant de leur taxi, les chauffeurs ont multiplié opérations escargot et blocages sur différents points stratégiques de la Ville rose. Les dernières actions en date remontent au 19 mai dernier. Et en ce début de mois de juin 2025, la rogne est loin de retomber. Interdits de se réunir ce mardi dans la capitale occitane par arrêté préfectoral, les chauffeurs prennent la direction de l’autre capitale, Paris, où des milliers de taxis se sont rassemblés ce matin. Parmi les combats revient le sujet du transport médical partagé pour lequel un décret, daté du 28 février dernier, est venu changer les règles et le renforcer. Les chauffeurs taxis discutent aussi les tarifs que l’Assurance maladie veut appliquer. Ils ne souhaitent pas qu’il devienne obligatoire. Tandis que pour les patients, ce mode de transport n’est pas toujours apprécié. Témoignages près de Toulouse.
Le transport partagé, comment ça marche ?
« Le transport partagé consiste au transport assis de plusieurs patients, dans un même véhicule, depuis leur domicile jusqu’à leur lieu de soins [et/ou d’examen, NDLR], ou inversement », définit l’Assurance maladie.
Ce système de « covoiturage » est assuré par « un Véhicule Sanitaire Léger (VSL) ou un taxi conventionné ». Il est expérimenté depuis plusieurs années en France et mobilisable sur prescription du médecin seulement et pour des patients sans contre-indication médicale.
Le transport partagé peut être mis en place exclusivement pour les transports réguliers et programmés liés à :
- des traitements médicamenteux systémiques du cancer ;
- des séances de radiothérapie ;
- des séances d’épuration extrarénale pour l’insuffisance rénale chronique ;
- des soins de réadaptation ;
- des soins dans le cadre d’une hospitalisation de jour.
Selon l’Assurance maladie, renforcer le transport partagé permettrait « d’améliorer l’accès aux soins, d’optimiser les ressources du système de santé [en clair, de faire des économies, NDLR] et de contribuer à réduire l’empreinte environnementale des transports sanitaires ».
Nouvelle mesure sur le tiers-payant depuis mars
Depuis le 1er mars, une nouveauté réside dans le paiement : « les patients acceptant le transport partagé bénéficieront du tiers-payant, et n’avanceront ainsi pas les frais pour leurs transports. Lorsque le trajet organisé par le VSL ou le taxi conventionné peut être partagé et en cas de refus par un patient éligible, le tiers payant ne s’appliquera pas et le patient sera remboursé ultérieurement aux conditions habituelles », détaille l’Assurance maladie.
Cette mesure incite à faire de ce modèle « un mode de transport de référence ». Mais il est loin de convenir à tous, conducteur comme passager.
Transport partagé : « j’ai subi mon trajet », dit Marie
Actu Toulouse a rencontré Marie qui habite Cugnaux, au sud-ouest de Toulouse. Pour ses séances de chimiothérapie, elle fait appel à un taxi conventionné. Depuis son domicile, une dizaine de kilomètres la sépare de la clinique Pasteur à Toulouse où elle suit son traitement… lourd pour le corps. Évidemment, hors de question pour elle de prendre son véhicule pour faire les trajets.

Si elle avait l’habitude d’être la seule prise en charge, il lui est arrivé une fois d’expérimenter le transport partagé. Cela remonte à avril dernier. « Quand le chauffeur est venu me chercher, il m’a dit qu’on devait attendre une autre patiente », se souvient-elle. Le trajet retour, « je l’ai subi », lance-t-elle.
« Une heure d’attente en plus »
Il y a d’abord eu l’attente. « Une heure de plus. Ça peut paraître pas grand-chose, mais pour quelqu’un qui fait de la chimio, c’est énorme. On est très fatigué, épuisé même, et nos défenses immunitaires sont faibles. »
L’Assurance maladie souligne pourtant que le « transport partagé est organisé dans des conditions garantissant à chaque patient que l’attente sur le lieu de soins, avant l’horaire programmé de sa prise en charge et à l’issue de celle-ci, ne dépasse pas 45 minutes au total ». Cela n’a visiblement pas été le cas pour Marie.
Le risque de « violer le secret médical » pour ce porte-parole
Enfin installée, la Cugnalaise n’a pas eu la force ni l’envie de discuter avec sa compagne de route imposée. De quoi aurait-elle pu parler ? Dans ces moments, on n’a pas toujours envie de se confier.
Stéphane Abeilhou, porte-parole de l’Union Nationale des Taxis de Haute-Garonne (UNT 31), pousse même la réflexion en soulignant que le transport partagé peut, dans certains cas, violer le secret médical. « Selon le lieu où l’on dépose le patient, l’autre passager peut comprendre de quoi il souffre. On ne veut pas toujours que son voisin sache ce que l’on a », prend-il en exemple.
« Décider au cas par cas »
Ce soir d’avril, Marie regagne son domicile à 19h15 au lieu de 18h15 habituellement. Plus jamais elle ne veut renouveler l’expérience. « J’ai maintenant un certificat médical pour avoir un transport non partagé. » Et d’ajouter : « je trouve ça aberrant. Il faudrait pouvoir décider au cas par cas. Si c’est pour faire des économies, c’est ailleurs qu’il faut chercher l’argent. On ne se soucie pas du patient et de son confort, ça m’inquiète ».
Une inquiétude partagée par les chauffeurs et leurs représentants. « Seul le taxi connaît sa clientèle et sait quand on peut regrouper les patients ou non », plaide Stéphane Abeilhou.
« C’est le patient qui va en pâtir »
« C’est le patient qui va en pâtir si ça devient obligatoire. Imaginez si le premier à son rendez-vous médical à 8h, l’autre à 9h et le dernier à 10h », lancent Cathy et Franck, chauffeurs taxi à Cugnaux et Colomiers.
Avec respectivement six et dix ans de métier, ils savent que tous les malades ne peuvent pas être transportés ensemble. « Un enfant autiste, il a besoin de rituels. Si on doit prendre un trajet différent de d’habitude, ça le perturbe beaucoup. C’est pas possible pour lui », explique Franck.
Ces tarifs qui provoquent la colère
Par ailleurs, le sujet majeur dont il sera question à Paris : le projet de nouvelle tarification de l’Assurance maladie pour ce transport conventionné qui doit entrer en vigueur le 1er octobre. Cette dernière fait l’objet d’une convention qui sera valable pour les cinq prochaines années.
Stéphane Abeilhou pointe « une revue à la baisse de presque 50 %. En moyenne [car des variations existent selon les régions, NDLR], nous sommes à 1,67 € le km parcouru et on descendrait à 1,05 € [1,10 € en Haute-Garonne, NDLR] », explique-t-il.
De quoi sérieusement menacer l’avenir de la profession : « le gouvernement sacrifie les taxis, des sociétés vont mettre la clé sous la porte. On est en dessous d’un tarif viable, sans savoir quel sera le prix du carburant demain. Notre profession est réglementée. La Sécurité sociale veut casser cette réglementation avec des tarifs à eux », alerte-t-il.
« Plus personne ne fera de transport partagé, ça ne sera plus rentable », complètent Cathy et Franck.

Un dispositif de géolocalisation bientôt obligatoire ?
Autre point qui fait grincer des dents les taxis : un dispositif de géolocalisation qui pourrait devenir obligatoire à partir du 1er janvier 2027. Cet équipement viendra alimenter « directement le logiciel de facturation avec le nombre de kilomètres effectués, les lieux et heures de départ – certifié par l’Assurance maladie », prévoit la convention.Pour Cathy et Franck, c’est tout simplement « impensable ». « Pour moi, c’est même carrément une atteinte à la vie privée. Nos véhicules, on s’en sert aussi à titre personnel. L’Assurance maladie n’a pas à savoir où on va. On va devenir leur salarié. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », peste Franck.
Pour faire des économies, « il faut chercher ailleurs »
« Nous, taxis, ne sommes pas responsables de la situation financière de la Sécurité sociale. Nous sommes le dernier maillon de la chaîne. On intervient que sur prescription médicale », insiste Stéphane Abeilhou.
« C’est ailleurs qu’il faut chercher. Et nous, on en a des idées pour faire des économies. Déjà, on a des patients qui sont obligés de faire plusieurs trajets parce que leurs examens sont étalés sur plusieurs jours. Pourquoi on ne peut pas tout regrouper sur la journée ? », questionnent Cathy et Franck.
La voix des taxis sera-t-elle entendue jusqu’à Bercy ? Ils espèrent être reçus par le ministre de la Santé et celui de l’Économie ce mardi 11 juin.