L’ancien juge d’application des peines qui a libéré Bertrand Cantat admet aujourd’hui avoir commis des erreurs. Incarcéré à Muret (Haute-Garonne), le chanteur s’était vu accorder une libération conditionnelle à peine quatre ans après le meurtre de sa compagne Marie Trintignant. La magistrature a-t-elle évolué depuis ? Deux professionnelles du monde judiciaire ont accepté de nous répondre.
Invité sur le plateau de C l’hebdo sur France 5, Philippe Laflaquière, ancien juge d’application des peines à Toulouse (Haute-Garonne), a mentionné qu’il avait été influencé à l’époque par « les efforts d’insertion » de Bertrand Cantat, incarcéré à la prison de Muret. Mais il reconnaît que des erreurs ont été commises, autant sur « la perception de sa psychologie » que sur « l’emprise » qu’il avait sur Krisztina Rady, son épouse qui s’est suicidée en 2010.
🔴 Affaire Bertrand Cantat :
« La première impression, c’était celle d’un détenu bien perçu. Avec le recul, je me dis peut-être que je me suis trompé sur la perception de sa psychologie » confie Philippe Laflaquière, ex-juge d’application des peines, ce samedi à 18h55 #CLHebdo pic.twitter.com/x2nfJ0fm5w— C l’hebdo (@clhebdo5) April 11, 2025
« L’experte psychiatre a dépeint Bertrand Cantat comme immature affectivement, présentant une fragilité narcissique, une dépendance affective, mais sans trouble psychopathique », a expliqué le juge. Une réaction suite à la diffusion de la série Netflix : «
« L’impression que j’ai eue, était celle que m’ont restituée les personnels du centre de détention, c’est-à-dire effectivement une personnalité très calme, très pacifique, bien perçue par les autres détenus. Il était serviable, il donnait des cours de guitare. Peut-être qu’avec du recul, je me dis que je me suis trompé, que l’on s’est trompé », reconnaît l’ancien magistrat en parlant de l’impression que leur a donnée Bertrand Cantat.
Cet « aveu » rarissime de la part d’un magistrat ouvre-t-il une porte ? Le mouvement #Metoo a-t-il permis de porter un autre regard sur ces affaires qu’on qualifiait à l’époque de crimes passionnels » ? Pour la déléguée régionale du Syndicat de la magistrature, Marie Leclair, le changement est en marche. Il y a des enquêtes qui débouchent aujourd’hui, qui ne débouchaient pas avant, explique-t-elle.
L’ancien juge d’application des peines Philippe Laflaquière en 2007.
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© MAXPPP
« C’est vrai qu’il y a un avant et un après. Sur les affaires qui concernent, par exemple, des jeunes adolescentes, comme l’affaire Weinstein ou d’autres, et des gens beaucoup plus âgés, on constate que la société a complètement changé, affirme-t-elle.
Marie Leclair est présidente de cour d’Assises. Elle constate que les jurés ont évolué, les débats aussi. « Il y a des discussions très intéressantes sur des sujets qui ne font pas complètement consensus, mais qui ne font, en tout cas, pas consensus dans le sens où ils le faisaient certainement avant. C’est-à-dire « elle l’a bien cherchée », « elle avait la jupe courte »… Ce genre de choses ».
Pour la magistrate, les lois ont criminalisé de plus en plus les faits de violences sexuelles ou de viols. Des circonstances aggravantes ont été créées dans plusieurs cas. « On a la jurisprudence qui a été intégrée sur le viol entre époux, ensuite la circonstance aggravante de viol entre époux, et maintenant la circonstance aggravante de viol d’une personne se livrant à la prostitution et commis dans l’exercice de ses activités. Tout ça, c’est quand même un mouvement de fond. Il y a parfois des jurés qui disent : mais pourquoi c’est plus grave parce que c’est une prostituée ? C’est parce que le législateur a estimé qu’il s’agissait d’une situation de vulnérabilité ».
krisztina rády s’est suicidée, le 10 janvier 2010, après avoir lancé des messages de détresses à ses parents sur le comportement de son compagnon Bertrand Cantat.
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© PATRICK BERNARD / AFP
Face aux procès Mazan ou Depardieu, certaines pratiques de dénigrement des victimes, voire pire, persistent. « La plupart du temps, les avocats citent Metoo en disant, le mouvement #Metoo a libéré la parole, c’est très bien, mais il peut y avoir aussi des abus. Mais souvent, ils sont quand même plus prudents qu’ils ne pouvaient l’être par le passé, note Marie Leclair. Et il me semble que concernant les questions qu’ils posent aux parties civiles, il y a des questions, quand même, qui n’apparaissent plus. Ou quand elles apparaissent, elles sont vues comme grossières par tout le monde ».
Autre point qui a changé : la manière d’aborder les enfants. Pour la magistrate, leur prise en compte a évolué. « Ce que ça leur fait d’être témoins des violences… C’est sûr que ça a changé dans la justice. L’idée également de savoir si on peut être un bon père quand on a tapé sur maman devant les enfants. Et la loi a aussi changé, puisque maintenant, la privation de l’autorité parentale est automatique ».
De son côté, l’avocate Myriam Guedj Benayoun, estime que les choses bougent, mais tout doucement. « En ce qui concerne les juges d’application des peines et l’information aux victimes, il y a un décret qui est sorti en mars 2022 qui permet de remettre, de replacer les victimes à la fin de la sanction pénale et notamment de la sortie de détention, explique-t-elle. C’est après l’affaire Cantat. Ce décret oblige les magistrats et notamment les juges d’application des peines et les procureurs à informer la victime en cas de demande de libération. Mais c’est encore imparfait puisqu’il faut que la victime ait manifesté avant son souhait d’être informée ».
La demande doit être faite expressément en recommandé au parquet. « Donc il y a une évolution. Elle est lente. Il y a un décret qui est sorti qui est encore imparfait. Il y a des magistrats qui considèrent les victimes, d’autres pas encore. Mais en fait, c’est notre héritage ».
Notre héritage veut que la victime soit un accessoire au procès.
Pour Me Guedj Benayoun, certains procès sont néanmoins le signe que les choses bougent. Elle qui représente des parties civiles au procès Le Scouarnec, ce chirurgien de Jonzac accusé par plus de 300 personnes victimes d’agression sexuelle et d’actes à caractère pédocriminel, le constate.
« Je suis assez impressionnée par la cour et la présidente, qui prend le temps qu’il faut pour chaque victime, les écoute, lit les éléments du dossier qui les concernent, interroge le prévenu à chaque victime. Et ça fait du bien aux victimes ».
« Dans ce procès-là, moi, je vois une évolution majeure que j’ai rarement vue, puisque je ne représente que des victimes de violences, hommes, femmes ou enfants, constate l’avocate de partie civile. Et c’est vrai que parfois, elles sont peu considérées. On l’a vu au procès de Mazan. Là, c’était immonde. Je trouve ça inadmissible, ce procès m’a écœurée ».
Le mouvement #Metoo a sans doute permis de porter un autre regard sur les violences faites aux femmes.
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© NICOLAS LIPONNE / NURPHOTO
L’avocate estime que le mouvement #MeToo constitue un des éléments qui favorise l’évolution des débats dans les tribunaux. « Je n’en fais pas partie, mais je trouve qu’il nous accompagne dans cette volonté de casser l’omerta. Pour revenir au procès Le Scouarnec, l’omerta a permis à ce chirurgien de sévir pendant 30 ans quand même. On a plus de 300 victimes, mais en réalité, il y en a beaucoup plus, on le sait. Entre les victimes prescrites, celles qu’on n’a pas retrouvées… Et Le Scouarnec n’est pas une exception ».
Les avocats, notamment ceux qui ont lourdement critiqué les manifestantes féministes présentes au procès de Mazan et qui s’attaquent au mouvement #MeToo, sont représentatifs de ce milieu qui ne veut pas admettre qu’on évolue, que la femme n’est plus un objet sexuel, estime Myriam Guedj Benayoun. Ils tentent même, selon elle, de combattre cette évolution. Elle déplore d’ailleurs qu’ils soient soutenus par des femmes comme Tristane Banon et Caroline Fourest.
« Si on regarde en arrière, il n’y a que quand on a bougé qu’on a pu avoir l’IVG, qu’on a pu avoir la reconnaissance… Souvenez-vous de la jeune fille représentée par Gisèle Halimi, qui avait avorté alors qu’elle avait été violée, et elle était jugée pour ça*. C’était énorme quand même. Donc effectivement, moi je ne suis pas contre le mouvement MeToo ».
L’avocate pense même qu’il n’y a que comme ça que le droit des victimes pourra progresser. « Et je trouve que ça avance, ça avance positivement. Et ce procès, le Scouarnec en est l’exemple même. Il y a des magistrats qui changent d’attitude ».
*Le 11 octobre 1972, Marie-Claire Chevalier, 16 ans, et son avocate Gisèle Halimi remportent une première victoire dans le combat pour la légalisation de l’
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