C’est la fin d’une longue attente. Ce lundi 2 juin 2025, à 19 heures, les futurs bacheliers et étudiants, seront fixés sur leurs choix de Parcoursup. Un système opaque qui peut créer des inégalités. Entretien avec Delphine Espagno-Abadie, enseignante-chercheuse à l’IEP de Toulouse.
Cette année, Parcoursup, qui a succédé en 2018 à APB, a recueilli les vœux de 980.000 candidats dans l’enseignement supérieur, contre 945.500 l’an dernier. Parmi eux, les plus nombreux sont des lycéens : ils sont 650.000, contre 183.000 étudiants souhaitant changer de voie et 112.000 candidats non scolarisés et ayant un projet de reprise d’études.
Delphine Espagno-Abadie, maître de conférences en droit public à Sciences Po Toulouse a publié avec Annabelle Allouch, maître de conférences en sociologie à l’Université de Picardie Jules Verne, le livre « Contester Parcoursup » (Presses de Sciences Po). Elle connaît parfaitement les rouages de cette plateforme d’accès à l’enseignement supérieur.
France 3 Occitanie : C’est le grand jour aujourd’hui pour les inscrits à Parcoursup, et les parents ?
Delphine Espagno-Abadie : Oui, c’est une période un peu compliquée, qui arrive au mois de juin, avant les épreuves et les résultats du bac. Ce qui veut dire qu’en réalité, les futurs étudiants et leurs familles investissent beaucoup plus sur cette plate-forme, que finalement sur le bac. Ce qui rend ce dernier un peu moins essentiel aux yeux des étudiants et des familles. Il y a beaucoup de familles, plus que l’année dernière d’ailleurs, qui vivent dans l’angoisse de l’attente des résultats. Après, il y a aura des choix définitifs à faire.
France 3 Occitanie : En demandant aux futurs étudiants de se décider avant le bac, n’est-ce pas une façon de mettre la charrue avant les bœufs ?
Delphine Espagno-Abadie : Cela répond à la réforme de l’enseignement secondaire et de la réforme du bac. C’est aussi une volonté de désacraliser peut-être davantage le baccalauréat. Cela conduira peut-être à une réforme qui fera passer le bac en contrôle totalement continu. Car l’organisation du bac, c’est très coûteux pour l’enseignement secondaire et pour le ministère de l’Éducation. Le fait de procéder à une évaluation constante et régulière des étudiants de terminale sur l’année, c’est moins coûteux.
France 3 Occitanie : Concrètement, les étudiants vont avoir plusieurs réponses ce soir ?
Delphine Espagno-Abadie : Oui et ensuite, ils vont devoir se positionner. Cette année, a été introduit, à nouveau, la hiérarchie dans les vœux, qui avait disparu avec Parcoursup. Donc les étudiants vont faire des choix. Et puis, il y aura les vœux en attente. Le fait de ne pas avoir de résultat très positif ce soir ne signifie pas qu’après-demain ou dans trois jours, vous n’aurez pas une réponse positive. Donc il faut aussi attendre le choix que vont faire les étudiants admis dans certains parcours pour voir l’évolution de la liste d’attente et peut-être remonter dans le classement.
France 3 Occitanie : Avec Parcoursup, on évoque souvent des algorithmes un peu obscurs. Est-ce que, pour vous, en tant que chercheuse, ce système est fiable et juste ?
Delphine Espagno-Abadie : Il faut savoir de quels algorithmes on parle. Il y a les algorithmes nationaux, qui sont déterminés par le ministère de l’Éducation nationale. Et ensuite, chaque établissement localement crée ses propres algorithmes. En clair, ils fixent des critères d’admission dans leurs parcours. Finalement, l’opacité de ces algorithmes est surtout « locale ». C’est ce que les familles reprochent souvent à ce système. Elles ne savent pas véritablement sur quels critères leurs enfants sont susceptibles d’être admis en premier cycle universitaire ou pas. Pour moi, cela pose un problème d’égalité et d’accès à l’enseignement supérieur. Avant, tout étudiant qui détenait le baccalauréat était susceptible de pouvoir s’inscrire dans une université. Donc vous étiez par exemple bachelier à Toulouse, et aviez l’intention de vous inscrire en médecine. On ne regardait pas le niveau de votre dossier. Vous preniez le risque, si vous ne l’aviez pas, de ne pas avoir le concours d’entrée en médecine. Parcoursup modifie les conditions d’accès à l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, tout bachelier n’est plus susceptible de pouvoir s’inscrire dans la formation de son choix. Cela crée une inégalité, en réalité. La liberté de choix n’existe plus.
Pour les jeunes qui se sont inscrits à Parcoursup, c’est le grand jour. • © DAVID ADEMAS / OUEST-FRANCE / MAXPPP
France 3 Occitanie : Cela vaut autant pour les universités que pour les écoles les plus prestigieuses ?
Delphine Espagno-Abadie : Ça vaut pour tous les établissements. Concernant les classes préparatoires, par exemple, qui permettent l’accès ensuite à des grandes écoles, les critères étaient assez clairs : il fallait avoir un excellent dossier en mathématiques et en physique si on voulait faire une classe préparatoire dans ces matières. Là où c’est nouveau, c’est pour les universités, c’est-à-dire l’accès en droit, sociologie ou psychologie par exemple. Ce sont des filières qui sont en tension, c’est-à-dire dans lesquelles il y a énormément de demandes et peu de places. Il y a une sorte de double sélection, il faut avoir un excellent dossier et il faut rentrer dans les critères qui sont déterminés par l’établissement pour pouvoir occuper l’une des places disponibles.
France 3 Occitanie : Quels sont ces critères ?
Delphine Espagno-Abadie : L’essentiel des critères est académique. Par exemple, en droit, un des critères qui aujourd’hui est déterminant, c’est votre niveau d’expression écrite. Donc si vous avez 18 à l’écrit au bac français, vous allez grimper dans le classement pour atteindre une place qui vous donnera la possibilité d’intégrer cette licence. Autre, critère, l’origine académique. Officiellement, les établissements ne le font pas, mais dans les commissions Parcoursup, il se peut que l’on soit susceptible de regarder où vit l’étudiant. Ensuite, il y a un critère qui n’est jamais annoncé officiellement, c’est le type de baccalauréat que vous avez obtenu. Pendant notre enquête, on s’est rendu compte qu’il était beaucoup plus difficile aux étudiants titulaires d’un bac professionnel, par exemple, d’accéder à une formation générale.
France 3 Occitanie : Avec 183.000 étudiants, la proportion des étudiants voulant se réorienter est relativement faible par rapport au nombre total des inscrits dans Parcoursup…
Delphine Espagno-Abadie : Ça dépend des filières. Vous avez pas mal d’étudiants en réorientation, notamment après un échec en première année santé. Vous avez aussi quelques réorientations, notamment en faculté de droit. Des étudiants qui se sont inscrits et qui finalement se rendent compte à l’issue de la première année, ou des six premiers mois, qu’ils se sont trompés.
France 3 Occitanie : Il y a aussi l’émergence des établissements d’enseignement supérieurs privés…
Delphine Espagno-Abadie : C’est une nouveauté cette année, car ils ont été intégrés dans Parcoursup. Face au nombre de candidats sur Parcoursup, certains jeunes demandent un établissement d’enseignement supérieur privé. Il y en a de plus en plus. Des établissements avec des frais de scolarité souvent élevés. Très élevés. Donc il y aura déjà une sélection par l’argent. Voilà une autre inégalité de fait. Avec aussi un problème de concurrence entre les établissements d’enseignement supérieur privés.
France 3 Occitanie : Est-ce qu’on pourrait faire mieux, selon vous, pour donner accès à l’enseignement supérieur ?
Delphine Espagno-Abadie : Ah oui, on pourrait faire mieux en finançant les universités. En donnant davantage de moyens aux universités, on pourrait accueillir plus d’étudiants en premier cycle d’université, c’est évident. On n’a pas fait ce choix-là, on a fait un choix qui est un choix de moins financer les universités. Et donc nécessairement, de faire face à un certain nombre d’étudiants avec des capacités d’accueil moindres. Il faut donc nécessairement procéder à une sélection des étudiants. La particularité de Parcoursup, c’est qu’à aucun moment on ne précise que c’est un mode de sélection. Et pourtant, cela en est un…
France 3 Occitanie : Avec le risque aussi que certains étudiants s’orientent vers des études qui ne leur correspondent pas…
Delphine Espagno-Abadie : C’est le risque. Imaginez que vous êtes étudiant bachelier et demandez l’accès à une licence de psychologie à Toulouse. Vous avez peu de chances, sauf si vous avez vraiment un dossier absolument exceptionnel. Les étudiants mettent en place des stratégies, parce qu’ils le savent. Mon premier choix c’est ça, mais comme je ne suis pas sûr de l’avoir, il faut que je trouve un plan B qui soit susceptible ensuite de correspondre. Ça crée une anxiété, une frustration, et il se peut très bien que l’étudiant qui n’ait pas été admis dans la filière de son choix renonce en cours d’année à la filière dans laquelle il était admis.
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