Le Patriarche, fondé par Lucien Engelmajer en 1974 à Saint-Paul-sur-Save, en Haute-Garonne, était un centre d’accueil pour les toxicomanes. Dérives sectaires, accusations de violences sexuelles, évasion fiscale… : une série documentaire de la réalisatrice Léa Barracco, diffusée dès ce dimanche sur Planète + Crime, revient sur les pratiques de cette asso devenue un empire.
La Dépêche. Comment est né votre intérêt pour l’affaire du Patriarche, sur laquelle vous avez réalisé une série documentaire, disponible dès dimanche ?
Léa Barracco. J’ai toujours été passionnée par les phénomènes sectaires, j’ai creusé plusieurs sujets en profondeur. Je sortais d’ailleurs d’un projet d’un an sur une secte, quand je suis tombée sur un vieil article qui mentionnait Le Patriarche. Ce nom ne me disait rien, ça m’a intriguée. Puis j’ai rencontré Catherine, ancienne pensionnaire qui vit aujourd’hui à Saintes. Ce qu’elle m’a raconté m’a bouleversée : elle a évoqué, avec ferveur, une organisation tentaculaire. J’ai trouvé fou que ça ne soit pas plus connu. J’ai appelé d’autres anciens pensionnaires. Tous avaient de fortes réactions : certains disaient que ça leur avait sauvé la vie, d’autres que ça les avait brisés, ou un peu des deux. Je me suis rendu compte que cette histoire était nuancée. C’est ce qui m’a convaincue d’en faire une série documentaire : le bon format pour la raconter dans sa complexité.
Cette affaire et les abus sexuels dénoncés font écho à des affaires plus actuelles, et la libération de la parole des femmes.
Certaines femmes osent parler après des années de silence, car on est dans une période plus propice. Mais d’autres, dans le documentaire, n’ont pas voulu témoigner à visage découvert, même plus de 20 ans après les faits. Elles ont peur des réactions, du jugement. Ça montre qu’il faut encore beaucoup de courage. J’espère que cette série leur donnera une voix, et sera une petite pierre à l’édifice pour montrer qu’il ne faut pas avoir honte. Que ces femmes sont des victimes et ne sont pas responsables.
Lucien Engelmajer est mort au Belize en 2007. Ça a été un frein ou un facilitateur pour votre enquête ?
Ça a permis que des femmes aient moins peur des répercussions, et acceptent de s’exprimer. Mais d’anciens pensionnaires continuent de le défendre et refusent de croire qu’il a été un prédateur. Ils traitent ces femmes de menteuses, de profiteuses. Pour eux, Lucien Engelmajer a sauvé des vies. Accuser un homme à qui vous devez la vie, c’est difficile.
Deux enfants de Lucien Engelmajer interviennent dans votre documentaire. Comment avez-vous réussi à les convaincre ?
Ça n’a pas été évident, car il fallait déjà les retrouver. Lucien Engelmajer a eu dix enfants. Je suis d’abord tombée sur Pascal, l’aîné. Je lui ai expliqué que je voulais raconter l’histoire dans toute sa complexité : les aspects lumineux, comme les plus sombres. Et que seuls eux pouvaient me parler de la face personnelle de leur père.
Comment expliquer que des milliers de personnes aient fait confiance à cet homme, pourtant ni médecin ni psychologue ?
On pourrait croire qu’il était animé par l’argent, mais je ne pense pas que ça soit le cas. Il voulait plutôt être au cœur de l’attention, adulé, admiré. Ses enfants racontent d’ailleurs qu’il se sentait investi d’une mission. Il se prenait un peu pour un dieu. Puis petit à petit, il s’est rendu compte que ce projet mégalomane pouvait aussi être une manne financière. Et à l’époque, personne ne savait vraiment quoi faire des toxicomanes. L’État était pris au dépourvu, et Lucien Engelmajer, lui, proposait une solution. Ça explique pourquoi ça a pu durer aussi longtemps.
Comment avez-vous récupéré les images qui composent la série ?
En télévision plus qu’ailleurs, pour raconter des histoires, on a besoin d’images. Au-delà des recherches classiques – articles de presse, photos, reportages disponibles et référencés à l’INA – j’ai eu accès à d’autres archives inédites. Comme l’association Le Patriarche brassait énormément d’argent, elle était dotée d’un service photo et vidéo, avec du matériel professionnel. Des gens, au sein de la communauté, filmaient les centres, les initiatives, des discours de Lucien Engelmajer…
L’affaire en quelques mots
L’association La Patriarche, fondée en 1974 par Lucien Engelmajer, proposait une méthode alternative de prise en charge des toxicomanes, sans recours à un personnel médical. Elle connaît une expansion fulgurante, avec des communautés installées dans 17 pays et des milliers de résidents. Elle reçoit des soutiens institutionnels et bénéficie de subventions publiques. Mais derrière cette façade humanitaire, de nombreuses dérives sont progressivement mises au jour : absence de soins, détournement de fonds, pratiques sectaires, accusations de violences sexuelles. En fuite pendant plus de dix ans en Amérique, Lucien Engelmajer est finalement condamné en 2007 par le tribunal correctionnel de Toulouse à cinq ans de prison et 375 000 € d’amende. Il décède la même année.