Orchestre national du Capitole, jeudi 15 mai, à la Halle aux Grains. Échange.
Premier chef invité de l’Orchestre symphonique de Vienne, la française Marie Jacquot dirige aussi l’orchestre de l’Opéra Royal du Danemark. Elle sera, pour la première fois, à la tête de l’Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques jours de diriger pour la première fois l’Orchestre du Capitole ?

Je suis impatiente. En plus, ma sœur habite Toulouse. Je connais un peu la ville. J’adore l’atmosphère, les gens, la culture et la nourriture… Et surtout, je suis ravie de rencontrer l’Orchestre du Capitole. J’ai une admiration particulière pour cet orchestre depuis très longtemps. Je suis une fan inconditionnelle des enregistrements des opéras français de Michel Plasson. Je trouve qu’il n’y a pas mieux. Donc rencontrer cet orchestre avec une telle tradition, est un honneur pour moi. J’apprécie aussi particulièrement les orchestres qui ont la double casquette symphonique et opéra. Ils ont une autre compréhension de la musique et aussi une autre façon de s’adapter au genre rapidement, aux pièces, au style.
D’autant que vous venez avec un programme qui n’est pas des plus connus… Sibelius et une mystérieuse « Sinfonietta » de Korngold. Pourquoi ce choix ?
Alors, j’ai toujours apprécié, depuis ma jeune carrière, d’apporter au public et aux orchestres des œuvres méconnues, qui ont le droit d’être écoutées et jouées plus souvent dans notre répertoire. Je trouve qu’on a un peu la tendance à écouter les mêmes choses, à jouer les mêmes choses. Pour moi, c’est un plaisir aussi de rechercher des pièces que personne ne connaît. Donc, je suis tombée sur cette « Sinfonietta » de Korngold qu’il a écrite quand il avait 15 ans. Cette petite symphonie est en fait un monstre parce qu’elle dure 45 minutes. Écrire une pièce comme ça à 15 ans, c’est juste hallucinant.
Qu’a apporté Korngold à la musique ?
Autrichien, il a dû s’exiler aux États-Unis pendant la guerre, à cause de la persécution des juifs. Il a commencé sa carrière de compositeur de musique de film. Donc, sans Korngold, il n’y aurait pas eu de John Williams ou de Hans Zimmer. C’était vraiment le précurseur. À 15 ans, on entend déjà la recherche d’une orchestration un peu magique, un peu féerique, des envolées musicales, on peut dire hollywoodiennes. Il perpétue aussi beaucoup la tradition dans sa musique. Je trouve ça positif de prendre le meilleur de la tradition et de faire avancer les choses. Dans cette symphonie, on entend du Mahler, du Strauss, du Debussy avec un mouvement assez impressionniste.
Le jeune violoniste ukrainien Bohdan Luts sera à vos côtés pour jouer Sibelius. Comment faire pour former davantage de musiciens que de soldats ?
C’est très simple, il suffit de mettre les jeunes à la musique, de soutenir la culture. Et pourtant l’éducation chute, la musique est de moins en moins soutenue financièrement. On va donc avoir une société beaucoup moins développée culturellement et intellectuellement. Ce qui donne le risque à des gens de manipuler une société plus facilement. C’est ce qui se passe aux États-Unis avec Trump et le Kennedy Center qui produit une culture de la propagande énorme. Car par la culture, on peut faire de la propagande. Si la politique commence à se mêler de la culture, on a un risque de dictature. C’est ça, le grand danger.
La France vous a découverte, l’an dernier, avec une Victoire de la musique dans la catégorie révélation chef l’orchestre pourtant, ça fait un bail que vous dirigez en Allemagne et en Autriche… Comment s’est construit votre parcours ?
C’est un choix. J’ai quitté Paris assez jeune, vers 19 ans, pour étudier la direction d’orchestre à Vienne. J’ai quitté la France parce que l’éducation est très compétitive et assez individualiste. Elle ne correspondait pas à ma personnalité. Je suis une team player. J’ai été joueuse de tennis. J’ai d’ailleurs arrêté parce que c’était un sport trop individualiste. C’était surtout la compétition, le fait de gagner, la pression. Je ne suis pas quelqu’un qui aime battre les autres. En Autriche, j’ai eu la chance de me forger une personnalité qui n’est pas basée sur le développement technique mais sur le développement musical.
Du coup vous êtes moins connue en France…
Nul n’est prophète en son pays. Je l’ai appris assez rapidement. Quand on commence à creuser dans le paysage des chefs d’orchestres français, on voit bien que beaucoup sont partis à l’étranger pour faire carrière. Il y a très peu de chefs français en France qui sont à la tête des grands orchestres. C’est souvent des étrangers. Georges Prêtre est revenu à la fin de sa vie mais il ne dirigeait jamais en France.
Malgré tous vos engagements en Allemagne, en Autriche et au Danemark, votre volonté est de diriger davantage en France ?
Bien sûr. C’est mon pays, ma patrie. J’aime beaucoup la culture, les paysages musicaux français en général. En ayant fait mes armes à l’étranger, j’ai un bagage qui me permet de faire face à certaines situations qui peuvent être délicates quand on est chef d’orchestre en France.
C’est quoi qui peut être délicat ?
C’est le tempérament français. On aime râler. On est les porte-drapeaux de la révolution et ça se sent encore. Quand on commence, cette mentalité peut être extrêmement déstabilisante. Beaucoup de chefs se brûlent les doigts ou les ailes. Maintenant, avec l’expérience que j’ai acquise à l’étranger, j’ai assez confiance en moi pour pouvoir pallier ce genre de situation. Si j’étais venue il y a 2 ou 3 ans, ça aurait été encore trop tôt.
Est-ce qu’il y a davantage de femmes chefs d’orchestre ailleurs qu’en France ?
Non. Ça commence maintenant avec les réseaux sociaux, YouTube et la télévision, où on voit de plus en plus de femmes. Donc ça donne envie à des jeunes musiciennes de devenir chef d’orchestre. C’est du mimétisme. À mes débuts, une jeune fille est venue me voir et m’a dit : « J’ai toujours voulu être chef d’orchestre mais je n’ai jamais osé, parce que je ne savais pas qu’on pouvait être chef d’orchestre en étant une femme ». C’est normal, elle n’avait jamais vu de femme diriger avant. Heureusement, ça évolue beaucoup.
À Toulouse, nous avons un nouveau directeur musical pour l’Orchestre du Capitole qui est un homme et qui n’est pas français mais finlandais, c’est Tarmo Peltokoski. Vous le connaissez, qu’est-ce que vous en pensez ?
Je garde mon avis pour moi. La Finlande a misé sur les chefs d’orchestre très tôt parce qu’ils ont compris que le chef avait une notoriété internationale qui pouvait bénéficier au pays. Ils ont investi beaucoup d’argent dans l’éducation des chefs d’orchestre. C’est pour ça qu’on a énormément de chefs finlandais sur le marché en ce moment. Ils sont d’ailleurs très bons.