La finale Northampton – Bordeaux-Bègles, samedi à Cardiff, sera la 30e de l’histoire d’une compétition créée non sans mal, dont la première édition fut remportée dans la capitale galloise par Toulouse. René Bouscatel et Guy Novès se souviennent.
Cela aurait pu être la (belle) petite histoire dans la grande. Pour le 30e anniversaire de la Coupe d’Europe, devenue aujourd’hui Investec Champions Cup avec l’arrivée des franchises sud-africaines après avoir un temps porté le nom de Heineken Cup – H Cup en France –, le Stade Toulousain avait une occasion en or de revenir à Cardiff, là où le règne continental des « rouge et noir » a commencé, un dimanche après-midi de janvier 1996.
Las, les hommes de Didier Lacroix, Jérôme Cazalbou et Ugo Mola, acteurs de ce sacre historique contre le club local (21-18 a. p.), l’ont donnée à d’autres – aux Bordelais qui y verront peut-être un signe dans la quête de leur premier trophée, samedi contre Northampton – comme évoqué il y a deux jours avec une pointe d’amertume et un soupçon de colère par le manager stadiste après la claque reçue face au Racing (35-37).
Il n’empêche, ce souvenir glorieux d’avoir été la première équipe à inscrire son nom au palmarès restera gravé à jamais. « Nous voulions cette Coupe d’Europe depuis si longtemps que c’était une consécration, une grande satisfaction pour le rugby des clubs français et européens. Et le fait que le Stade Toulousain soit finaliste à Cardiff et gagne la première édition a été une grande joie pour nous bien sûr », se remémore René Bouscatel.
Président des « rouge et noir » à l’époque, il avait été l’un des principaux artisans de la création de cette nouvelle compétition : « J’ai participé avec Jean-Jacques Gourdy, qui était président de Brive, à la première réunion préconstitutive de la Coupe d’Europe, en secret, à l’aéroport d’Heathrow, dans un hôtel. Nous y sommes allés en catimini, presque en nous cachant, avec des présidents des clubs anglais, gallois, écossais, irlandais. » Il faut dire qu’à l’époque, aux prémices du professionnalisme, les fédérations ne voyaient pas d’un très bon œil ce qui ressemblait à une forme d’émancipation.
« Dès lors que deux présidents de clubs se rencontraient, ils étaient soupçonnés de sédition, s’amuse l’ancien avocat. Les fédérations étaient très jalouses de leur pouvoir. » Fermement décidés à mener à bien leur projet, les clubs n’ont pas cédé face à la pression. « Nous sommes allés rencontrer chacun nos fédérations en disant que soit ils créaient une Coupe d’Europe, soit nous la créerions sans elles, poursuit Bouscatel. Quand il a vu ce courant fort qui était né au sein des clubs, le comité des V Nations a décidé de créer la Coupe d’Europe, mais par une société dont les actionnaires étaient uniquement les fédérations. » D’où le refus des Anglais de jouer la première édition avant de raccrocher les wagons l’année suivante.
Novès : « Serge m’avait stoppé dans mon élan »
« Ça nous paraissait important de rentrer dans cette compétition, même si les Anglais étaient absents, par la bonne porte », évoque pour sa part Guy Novès. Avant d’arriver à l’Arms Park, le chemin des Toulousains avait débuté en Roumanie par un match épique à Constanza (54-10). « Ce dont je me souviens, c’est que certaines personnes peignaient des sièges la veille du match, relate Novès. C’était une équipe faible pour cette époque-là mais présente. Et un voyage symbolique qui, évidemment, avait été pris au sérieux. On apprenait contre des pays qui ne sont plus engagés en Coupe d’Europe aujourd’hui, c’était le tout début avec des voyages dans certaines régions un peu incroyables. »
Cardiff, adversaire en finale, était un peu plus conventionnel. Et avant de pouvoir savourer ce premier trophée continental, Novès se souvient avoir vécu un bon moment de tension : « À l’époque, puisque nous étions deux, mon co-entraîneur était Serge Laïrle. Et je me souviens très bien qu’à la fin du temps réglementaire, l’arbitre accorde une pénalité face aux poteaux à presque 50 mètres à l’adversaire. Moi, je ne la trouvais pas normale, je considérais que l’arbitre n’avait pas été correct sur cette action. Et je me rappelle de Serge qui m’avait retenu parce que j’étais hors de moi (rires). Il m’avait stoppé dans mon élan. Ensuite, on est passés par la prolongation et on a gagné. »
Surtout, l’entraîneur le plus titré du rugby français souligne que le Stade « s’était refait la cerise et remobilisé pour être champion de France quelques mois après ». Avec un doublé à la clé. « On n’en parle pas mais il pouvait se faire à l’époque parce que les deux compétitions étaient éloignées l’une de l’autre. Et ensuite (quand les calendriers ont changé, NDLR), il y a eu d’énormes difficultés pour y parvenir car on n’avait pas les effectifs qu’il y a actuellement. C’était très compliqué de passer d’une compétition à l’autre, de jouer sur les deux tableaux, d’où certaines réflexions de ma part (sur l’impossibilité de réaliser le doublé, NDLR). » Si la génération en or actuelle y est parvenue deux fois (2021 et 2024), celle de la saison 1995-1996 restera à jamais la pionnière.