À l’occasion d’une conférence à Blagnac, François Gemenne, spécialiste du dérèglement climatique et auteur du sixième rapport du Giec, a apporté son expertise sur les vulnérabilités des villes et les leviers d’adaptation face au réchauffement planétaire. Une urgence qu’il faut, selon lui, transformer en opportunité.
François Gemenne, vous étiez à Blagnac hier pour une conférence sur les vulnérabilités climatiques locales. Qu’avez-vous retenu de ce diagnostic ?
Blagnac est un très bon cas d’étude. C’est une ville à taille humaine, avec une vraie proximité entre les habitants et les élus. Elle concentre de nombreux défis : le logement, la mobilité, l’aménagement du territoire… Et puis il y a une très grande vulnérabilité à ce qui peut arriver à certains types d’industries. Je pense en particulier à l’industrie aéronautique, parce que beaucoup de gens ici travaillent dans ce secteur. Cela crée une dépendance économique, donc un enjeu très fort. C’est intéressant de voir comment, à partir de là, on peut construire un plan d’adaptation local qui soit discuté avec les habitants. Cela permet de faire de l’urgence climatique un véritable projet collectif.
Avec un scénario à + 4 °C en moyenne en 2100 pour la région, à quoi ressemblerait le quotidien des habitants ?
Ce serait un quotidien radicalement transformé. Ce qu’on ressentira le plus, ce sont les événements extrêmes : canicules plus fréquentes, vagues de chaleur intenses, inondations… Cela aura un impact majeur sur la santé, avec des maladies transmises par les moustiques, et sur la concentration au travail, un sujet trop souvent négligé. Le monde du travail devra aussi s’adapter à ces nouvelles conditions.
Le changement climatique crée aussi des inégalités. Comment se manifeste cette injustice climatique, localement ?
On parle souvent d’injustice climatique à l’échelle internationale, où les pays les moins responsables sont les plus touchés. Mais à l’échelle d’une société aussi, c’est frappant. Ce sont les populations les plus pauvres, les plus vulnérables, qui sont les plus exposées. Et en plus, ce sont souvent elles qui ont le moins contribué au problème. À l’inverse, les plus aisés vont avoir accès à des solutions d’adaptation : transformer leur habitat, installer des protections. Cette inégalité d’accès peut accentuer les fractures sociales, et ces fractures rendent l’ensemble de la société plus vulnérable. C’est un cercle vicieux : plus on est inégalitaire, plus on est fragile face aux chocs climatiques.
Comment convaincre les acteurs économiques, et notamment le secteur aéronautique, de s’engager dans la transition écologique ?
Il faut leur montrer que c’est dans leur intérêt économique. Une entreprise qui ne se transforme pas aujourd’hui ne sera plus rentable demain. Agiter la peur ou la culpabilité ne fonctionne qu’un temps. Il vaut mieux parler des bénéfices concrets de la transition : innovation, attractivité, économies… C’est un discours plus mobilisateur.

À Blagnac, certains élus misent sur des gestes simples, comme la réduction de la consommation d’eau. Est-ce suffisant pour enclencher un cercle vertueux ?
À eux seuls, les petits gestes ne suffiront pas, même tous additionnés. Mais ils sont un point d’entrée vers une mobilisation plus large. Il faut reconnecter notre rôle de consommateur avec celui de citoyen. Ce qu’on fait individuellement est important, mais cela doit s’inscrire dans une logique collective et politique. Les deux dimensions sont complémentaires.
Quels sont, selon vous, les meilleurs indicateurs pour mesurer les progrès d’une ville face au changement climatique d’ici 2050 ?
C’est compliqué à définir. L’adaptation, ce n’est pas un état figé, c’est un processus. Dès qu’on pense qu’on est adapté, c’est qu’on ne l’est plus. Il faut pouvoir réévaluer régulièrement les plans d’adaptation. Un bon indicateur, c’est l’évolution des pertes économiques liées à des événements climatiques. On peut aussi regarder les pertes humaines. Certains pays ont réussi, grâce à leur préparation, à réduire considérablement ces pertes. Mais encore une fois, l’essentiel, c’est de ne jamais considérer l’adaptation comme acquise. C’est une trajectoire permanente.