À l’occasion du congrès de l’ASCO 2025 à Chicago, Jean-Pierre Delord, directeur de l’Oncopole de Toulouse, décrypte les avancées majeures en cancérologie : technologies de suivi, immunothérapie, vaccins personnalisés… Une révolution silencieuse est en train de changer la vie des patients.
Peut-on dire qu’on guérit mieux le cancer aujourd’hui ?
Oui, c’est absolument certain. Depuis une dizaine d’années, les statistiques sont claires : les taux de mortalité spécifique par cancer baissent de façon significative. On est passés d’environ 50 % de guérison au début des années 2010 à plus de 60 % aujourd’hui. Dans certains cas, on atteint même deux tiers de patients guéris. Ce sont des progrès concrets que l’on constate dans nos services.
Qu’est-ce qui explique cette amélioration ?
Il y a beaucoup de facteurs, mais le principal, selon moi, c’est l’intégration de la technologie. On parle ici d’innovations issues de la recherche fondamentale, mais aussi d’avancées concrètes issues de l’ingénierie. Le progrès ne vient pas seulement des nouveaux médicaments, mais aussi de la capacité à détecter très tôt les signes de rechute ou d’inefficacité d’un traitement, ce qui permet d’intervenir rapidement.
Quelles avancées vous semblent les plus marquantes aujourd’hui ?
Par exemple, on sait désormais que certains marqueurs biologiques présents dans le sang permettent de prédire l’évolution d’un cancer, parfois même avant que l’imagerie ne le détecte. C’est un changement total dans notre manière de suivre les patients après traitement. Dans certaines formes de cancer du sein ou liés au virus HPV (papillomavirus humains, NDLR.), la disparition de ces marqueurs permet même d’affirmer avec certitude que la patiente est guérie. Ce n’est plus une hypothèse, c’est une certitude. Avant, on disait aux patients : « On verra avec le temps ». Aujourd’hui, on peut dire : « Vous êtes guéri ».
Les vaccins personnalisés contre le cancer sont-ils un espoir sérieux ?
Oui, c’est probablement un des plus grands potentiels à venir. C’est encore expérimental, mais on a mené à Toulouse une étude de phase 2 sur des vaccins personnalisés pour les cancers de la tête et du cou. Tous les patients ont été inclus, on attend les résultats, mais c’est très prometteur. L’idée est de concevoir un vaccin sur mesure après l’opération, en ciblant les antigènes propres à chaque tumeur. On espère que cela réduira fortement les risques de rechute. On peut imaginer pouvoir les proposer aux patients d’ici 5 à 10 ans.
L’immunothérapie continue-t-elle de progresser ?
Elle s’étend à de nouveaux types de cancers. Cette année, à l’ASCO, une étude a montré qu’administrer l’immunothérapie dès la fin de l’opération, avant les rayons, améliore le pronostic dans les cancers ORL. On passe de 50 à 63 % de chances de guérison. Cela change énormément de choses pour les patients. Mieux vaut agir avant que le cancer ne revienne.
Que dire de la prévention aujourd’hui en France ?
C’est un vrai défi. La prévention, ce sont les gestes du quotidien : bien manger, ne pas fumer, bouger, se faire vacciner. Mais l’obésité progresse, et avec elle certains cancers digestifs. La vaccination contre le HPV, en particulier chez les jeunes, est essentielle. Il faut arrêter de tergiverser : tous les garçons et les filles doivent être vaccinés. L’autre enjeu, c’est l’accès au dépistage. Dans certains territoires, le manque de médecins fait que les diagnostics arrivent trop tard. Et ça, c’est un problème majeur de santé publique.
La France est-elle bien positionnée en matière de recherche contre le cancer ?
Nous avons des chercheurs brillants, des médecins bien formés, des centres de pointe. Mais entre la découverte scientifique et l’innovation concrète, il y a un gouffre. Les start-up peinent à se développer, et l’Europe est pénalisée par des régulations trop complexes. Il faut vraiment une réforme pour rester compétitifs au niveau mondial. La science avance vite, il ne faut pas qu’elle avance sans nous.