Le ciel, terrain d’enquête depuis 1977. Le 30 octobre 1938, Orson Welles diffuse à la radio La Guerre des mondes. Cette adaptation du roman de H. G. Wells aurait, dit-on, semé la panique aux États-Unis, certains croyant à une invasion extraterrestre en direct. Si les historiens ont depuis relativisé l’ampleur du chaos, l’anecdote illustre bien combien les phénomènes étranges venus du ciel peuvent déchaîner les imaginaires.
En 2025, les soucoupes volantes font toujours parler d’elles… mais cette fois, l’enquête est sérieuse. Basé à Toulouse, le Groupe d’Études et d’Information sur les Phénomènes Aérospatiaux Non identifiés (GEIPAN) est chargé, depuis près d’un demi-siècle, de démêler le vrai du fantasme dans les témoignages de citoyens intrigués par ce qu’ils ont vu dans le ciel.
Illustration d’un tripode dans l’édition belge de 1906 de La Guerre des mondes, signée Henrique Alvim Corrêa. © Domaine public
Une mission historique et transparente
Créé en 1977 par le CNES, le GEIPAN (d’abord GEPAN) naît sous l’impulsion d’Yves Sillard, alors président directeur général de l’agence spatiale. À l’époque, il s’agit surtout de mettre en place une méthodologie scientifique pour étudier les phénomènes inexpliqués. En 2005, tournant décisif : le service ajoute un objectif d’information publique.
C’est à partir de ce moment que le service se tourne vers le public, avec une publication systématique du travail et des enquêtes menées, de façon à être totalement transparents », explique Frédéric Courtade, responsable du GEIPAN depuis 2024, à L’Opinion Indépendante.
Contrairement aux États-Unis, où le sujet relève souvent du Pentagone, le GEIPAN est un service public rattaché à une agence scientifique. C’est même le seul à fonctionner ainsi :
Le GEIPAN, dans sa façon d’être rattaché à un organe officiel comme le CNES, est unique au monde. »
Ainsi, tout citoyen observant une anomalie dans le ciel, qu’il soit de Charente ou du Pas-de-Calais, peut envoyer son témoignage via le site du GEIPAN. Charge ensuite au service (et à son impressionnant réseau) d’enquêter, parfois pendant plusieurs années, pour tenter d’expliquer ce qui a été vu.
Frédéric Courtade est arrivé à la tête du GEIPAN en janvier 2024, succédant à Vincent Costes. © CNES/MALIGNE Frédéric, 2023
Trois salariés, des dizaines de spécialistes
En apparence, le GEIPAN fait figure de petite équipe : seulement trois personnes. Mais ces agents sont épaulés par un vaste réseau de bénévoles et d’experts.
Nous travaillons avec une quinzaine de bénévoles enquêteurs. Mais nous avons aussi recours à de nombreux services dans les domaines de l’aérospatiale, de l’aviation, de la sociologie, de l’éthique, du parachutisme, de la foudre, etc. », détaille Frédéric Courtade.
Le GEIPAN collabore ainsi avec Météo France pour reconstituer les conditions météo, avec le CNRS pour les aspects astronomiques, avec la gendarmerie nationale pour recueillir les témoignages ou encore avec l’armée de l’air pour obtenir des données radar. C’est une véritable cartographie du ciel qui est ainsi établie à chaque enquête.
Mais les équipes disposent aussi de leurs propres outils : bases de données météorologiques, cartes du trafic aérien, pollution lumineuse, logiciels de traitement d’images… Une artillerie qui a été renouvelée notamment avec l’avènement d’Internet, précise le responsable.
Croquis de témoins parvenus au Geipan. © CNES/, 1970
Des cas classés de A à D
Une fois un témoignage reçu, une enquête est déclenchée (à condition que le témoin donne son accord pour la publication). Chaque affaire est confiée à un enquêteur officiel, bénévole mais formé, qui agit avec un ordre de mission délivré par le CNES.
La durée d’une enquête peut varier de quelques semaines à quelques années. Nous sommes par exemple en train de publier des cas de 2019″, confie Frédéric Courtade.
Au terme de l’enquête, chaque cas est classé de A à D : A étant pour parfaitement identifié (un avion, un satellite, un ballon…) et D pour non identifié, malgré l’analyse de toutes les données disponibles. Ainsi, pour les phénomènes identifiés, plus de la moitié concernent des aéronefs : cerfs-volants, drones, lanternes thaï et bien sûr des avions.
Au final, seulement 3,2 % des affaires ne sont pas élucidées. Mais l’expert précise que rien n’est figé : la classification peut encore évoluer au fil des années.
Nous avons une base de données de près de 18.000 témoignages. Des fois, en recoupant les informations, cela peut faire rebondir une affaire », explique-t-il.
Croquis d’un PAN. © CNES/, 1970
Quand le mystère reste entier
Bien que rarissime, il arrive que certains phénomènes résistent à toute tentative d’explication. Le cas « HEM », observé récemment, intrigue tout particulièrement.
Plusieurs témoins ont observé des halos orangés formant un triangle dans le ciel. C’est un phénomène qui a été constaté plusieurs fois en France, mais également en Belgique et au Canada, et nous n’arrivons toujours pas à comprendre ce que c’est. »
Une affaire qui fait alors l’objet de plusieurs enquêtes simultanées. « Ce sont des gens qui ne se connaissent pas, et qui décrivent exactement la même chose », note le responsable du GEIPAN. Un casse-tête qui pourrait bien, un jour, trouver sa solution.
La science face aux croyances
Enquêter sur les OVNIs, c’est aussi être confronté à un climat parfois chargé émotionnellement. Beaucoup de témoins arrivent avec une interprétation déjà faite de leur observation.
Certaines personnes nous partagent leur témoignage en s’étant déjà fait une idée de ce qu’ils avaient vu. […] Quand on leur explique que c’était simplement un avion, ils le prennent mal. Plutôt mal », confie Frédéric Courtade.
Et parfois, l’histoire va bien au-delà d’un simple malentendu :
Bien sûr, il y a des personnes qui viennent vers nous et dont le discours est clairement teinté de complot, et qui pensent qu’on leur cache la vérité. Cela peut aussi cacher des dérives sectaires. »
Pour ces cas sensibles, le GEIPAN fait preuve de prudence. Des relais sont activés vers des structures compétentes, notamment en psychologie.
On a parfois affaire à des gens en détresse. Notre rôle est aussi de les réorienter quand ce n’est pas dans nos missions. »
Car le spécialiste le rappelle bien : le GEIPAN n’est pas un expert des OVNIs.
Affirmer que la vie extraterrestre existe est une chose. Dire que les extraterrestres viennent nous voir c’en est une autre. »
Rester sérieux sans se prendre trop au sérieux
Et dans cette atmosphère mi-scientifique, mi-fantasmée, Frédéric Courtade garde les pieds sur terre. À la question « avez-vous regardé la série OVNI(s) ? » (librement inspirée du service toulousain), il répond avec le sourire : « Le héros, c’est mon ancêtre, donc oui. […] C’est une série que je conseille. Il y a beaucoup de choses très réalistes dans la façon dont travaillait le GEIPAN il y a quelques années. »
Réalisée par Antony Cordier, la série française OVNI(s) raconte l’histoire de Didier Mathure, qui devient responsable du GEPAN à la fin des années 1970. © Canal +
Entre rigueur scientifique, écoute des citoyens et gestion des croyances collectives, le GEIPAN, depuis Toulouse, observe le ciel (et parfois les esprits) avec méthode, ouverture… et un soupçon de mystère.
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