Un pilier artistique en danger. De son nom aussi mystérieux que poétique (le Bond de la Baleine à Bosse) le BBB Centre d’art infuse depuis 1993 la fièvre de la création contemporaine dans les quartiers nord de Toulouse. Expositions pointues, accompagnement artistique, actions culturelles et formations s’y mêlent avec une ambition claire : rendre l’art accessible tout en soutenant la création émergente.
Mais depuis près d’un an, l’institution tangue dangereusement. Comme bien d’autres structures culturelles, elle subit de plein fouet la baisse des subventions publiques. Et les conséquences ne se font pas attendre : menaces sur l’emploi, réduction d’activités, et un futur incertain, à très court terme.
Les écoles des quartiers nord de Toulouse organisent régulièrement des sorties au BBB. Ici une visite de maternelles en 2022. © BBB
Un modèle unique et reconnu
Le BBB ne se contente pas d’accrocher des œuvres : il accompagne, forme, conseille. Une vraie fabrique artistique, pionnière en son genre.
Dès 1993, le BBB a été le premier lieu en France à développer un dispositif d’accompagnement pour les artistes bénéficiaire du RMI (aujourd’hui RSA) », rappelle Léa Besson, directrice artistique, à L’Opinion Indépendante.
Aujourd’hui encore, chaque année, plusieurs dizaines d’artistes bénéficient de parcours sur mesure (courts ou longs) pour affiner leurs projets et structurer leur pratique.
Le BBB intervient à tous les niveaux du parcours artistique : formations, expositions, actions de médiation, résidences, travail en lien avec les écoles ou les centres sociaux », complète Lucie Delepierre, responsable du Pôle des publics et de la Plateforme ressource.
En 2024, le BBB Centre d’art a accompagné 57 stagiaires, et dispensé 594 heures de formation. © BBB
Une diversité d’actions qui fait la richesse du lieu, en plus de son rôle moteur dans le paysage artistique local, mais aussi national.
Il faut qu’il y ait une complémentarité entre les grosses structures et les petits lieux. Le BBB est un espace qui fait émerger les artistes. Ils n’iront pas exposer aux Abattoirs ni au Nouveau Printemps s’il n’y a pas eu des lieux avant qui les soutiennent », rappelle Léa Besson.
Des coupes budgétaires aux effets immédiats
Le climat s’est nettement assombri ces derniers mois. En deux ans, le BBB a perdu environ 80.000 euros de subventions. Et le détail a de quoi donner le vertige : baisse de 5 % de la part de la Région Occitanie, soit 2.000 euros, réduction de 13.000 euros des crédits dédiés à la formation des artistes demandeurs d’emploi, chute de 25.000 euros de la part de la DRAC.
Résultat : des postes en péril (jusqu’à sept CDI menacés d’ici fin 2025) et une activité amputée. Résidences annulées, formations supprimées, expositions reportées. En 2025, le BBB ne pourra proposer qu’un seul événement : Les Fondations Mouvantes de Néphéli Barbas.
Une exposition qui parle de l’utopie… et du naufrage
Et quelle ironie : cette exposition semble faire écho à la situation du lieu. Néphéli Barbas s’est inspirée de La Chapelle Blanche, une œuvre de Henri-Georges Adam créée à la Cité de l’espace pour un projet avorté en 1993, pour raisons budgétaires (et politiques). Une histoire qui résonne tristement aujourd’hui.
Elle dit l’utopie en échec, mais aussi la persistance des tentatives », résume le dossier de presse.
Entre science-fiction, conquête spatiale et mémoire personnelle, l’installation centrale (un cockpit spatial habité par un mystérieux clown astronaute) intrigue autant qu’elle bouleverse.
Néphéli Barbas, née en 1990, vit et travaille entre Paris et Prague. Son travail s’inspire de l’aspect visuel de l’environnement urbain. © Baptiste Dété
Véritable ovni artistique, Les Fondations Mouvantes a été inaugurée le 4 juin lors de la 16e édition du Week-end de l’art contemporain. Elle attire curieux et passionnés dans un décor aux « références esthétiques contradictoires et anachroniques ».
Une fermeture administrative dès fin 2025 ?
Mais malgré cette effervescence, le spectre de la fermeture plane plus que jamais.
Si on ne prend pas de décision là, de manière urgente, on va vers une fermeture administrative à la fin de l’année », alerte Léa Besson.
Le BBB ne veut cependant pas sombrer sans lutter. Dans les bureaux, les équipes planchent sur tous les scénarios possibles. Restructuration, nouveaux modèles, mise en commun des moyens… tout est sur la table.
Mutualiser pour survivre : vers un « Lieu Idéal » ?
Parmi les pistes concrètes : un projet baptisé Flirt (pour Fabrique du Lieu Idéal – Rencontres du Territoire). L’idée ? Regrouper plusieurs structures culturelles toulousaines dans un même écosystème.
C’est un projet sur lequel nous sommes engagés depuis plus d’un an maintenant, avec le Lieu-Commun, la Maison de l’Architecture Occitanie-Pyrénées et le réseau d’art contemporain en Occitanie », explique Léa Besson.
L’ambition est claire : mutualiser les ressources pour créer une dynamique durable et adaptée à un secteur fragilisé, tout en accroissant le rayonnement des sites. Mais la mise en œuvre dépendra des discussions à venir avec les pouvoirs publics.
Peut-être que le secteur de l’art contemporain, parfois perçu en vase clos, a besoin d’entamer une mutation. Les modèles actuels sont très institutionnalisés, complexes, souvent rigides. C’est une question ouverte qui mérite d’être débattue », ajoute-t-elle.
En attendant les arbitrages, le BBB s’apprête à publier Be Bald & Bold, un ouvrage anniversaire retraçant 30 ans de création et d’engagement artistique. Une manière de célébrer son héritage… mais aussi de poser la question : et maintenant ?
Cet ouvrage, c’est aussi une invitation à imaginer l’avenir des institutions et des métiers de l’art », décrivent les équipes.
Une histoire à poursuivre, coûte que coûte
Malgré les vents contraires, l’équipe du BBB ne baisse pas les bras. Soutenue par de nombreux artistes, partenaires et visiteurs fidèles, elle compte bien redoubler d’imagination pour faire vivre autrement ce lieu qui, depuis plus de 30 ans, irrigue la scène artistique toulousaine.
Le BBB va continuer d’agir, pour les artistes, pour les publics, pour défendre l’accès à la culture pour toustes », annonce le site dans son communiqué.
Le BBB n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom : un « bond » en avant est encore possible, porté par la solidarité du secteur culturel, la mobilisation citoyenne, et l’envie farouche de continuer à rêver, créer et transmettre. Et si l’avenir est encore flou, il n’est pas figé. Au contraire : il s’écrit, en ce moment même, à plusieurs mains.
Visite de l’exposition Bad Poetry (2023). © BBB
>> Infos pratiques :
Le BBB Centre d’art accueille les visiteurs du mercredi au samedi de 14 heures à 18 heures, au 96, rue Michel-Ange.
L’exposition Les Fondations Mouvantes de Néphéli Barbas sera accessible jusqu’au 5 octobre 2025.
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