Un printemps, plusieurs saisons. Depuis sa renaissance en 2022, le Nouveau Printemps est devenu un rendez-vous incontournable de la scène culturelle toulousaine. Festival de création contemporaine implanté chaque année dans un quartier différent, il mise sur la transversalité, l’inclusivité et l’engagement. L’édition 2025, pensée avec l’artiste Kiddy Smile, icône de la scène ballroom et militant queer, proposait un parcours foisonnant de 39 artistes dans le quartier Saint-Sernin / Arnaud Bernard.
La bonne nouvelle ? Plusieurs expositions ne s’arrêtent pas au 22 juin, date de clôture officielle du festival, mais se prolonge tout l’été (et parfois bien au-delà). Tour d’horizon de ces pépites à (re)découvrir sans tarder.
L’édition 2025 s’est tenue dans dix lieux différents, dont quatre projets dans l’espace public. © Théa Drouin (@omysx)
Centre culturel Bellegarde : déracinement et déconstruction
Au Centre culturel Bellegarde, deux propositions aussi puissantes que complémentaires ont pris leurs quartiers jusqu’au 28 juin. D’un côté, Uprooting, projet sensible d’André Atangana, qui mêle photographie et vidéo pour explorer les masculinités noires à travers le prisme du déracinement. Écrit et tourné à Toulouse, le projet met en lumière trois artistes issus de la diaspora africaine, américaine et européenne.
Le projet Uprooting représente le déracinement sous ses multiples formes : la quête de soi dans des contextes géographiques et culturels variés », précisent les organisateurs.
Une série de portraits émouvants, une chorégraphie des corps et des origines, où l’intime devient universel.
Uprooting, André Atangana. © Vincent Beaume
À quelques mètres de là, Ndayé Kouagou brouille les pistes avec Here & Elsewhere, installation vidéo grinçante et absurde, où un alter ego énigmatique délivre des injonctions absurdes à mi-chemin entre tutoriel YouTube et monologue existentiel.
Très vite, le spectateur est contraint de revenir au point de départ : de quoi parlons-nous vraiment ? »
Avec humour et dérision, Kouagou nous tend un miroir sur nos discours creux et nos certitudes instables.
Here & Elsewhere, Ndayé Kouagou. © Vincent Beaume
Musée Saint-Raymond : Faire famille, faire récit
Sous les voûtes antiques du musée archéologique, l’exposition Faire Famille se déploie jusqu’au 21 septembre. Pensée par la commissaire Yandé Diouf, cette exposition collective rassemble des artistes qui viennent interroger les notions de famille, d’appartenance, de communauté et de mémoire collective.
L’exposition est une Maison, un espace de réflexion partagée sur nos places et trajectoires, pour imaginer ensemble des stratégies collectives capables de transformer les oppressions et les dénis en forces créatrices et vitales. »
Ici, le corps est politique, l’intime est un terrain d’exploration, et les récits marginalisés reprennent toute leur place : Binta Diaw évoque migration et genre ; Angelica Mesiti mêle vidéo, musique et performance pour convoquer des formes d’expression non verbales ; Roméo Mivekannin s’infiltre dans l’iconographie occidentale pour mieux la subvertir.
Faire Famille, Binta Diaw, Marie-Claire Messouma Manlanbien, exposition collective commissariée par Yandé Diouf. © Vincent Beaume
C’est alors toute une cartographie sensible qui se dessine, à partir des marges, pour repenser le centre.
Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine : sous la coupole, la voix des griots
Dans le majestueux espace de la Bibliothèque d’étude et du patrimoine, Raphaël Barontini fait flotter une installation textile monumentale, suspendue sous la coupole Art déco. Un hommage vibrant au griot, figure emblématique des traditions orales créoles et africaines.
La parole du conteur, c’est le son de sa gorge, mais aussi sa sueur, les roulades de ses yeux, son ventre, les dessins de ses mains, son odeur, celle de la compagnie, le son du ka et tous les silences » – Patrick Chamoiseau, Solibo Magnifique.
Le griot de la peinture, Raphaël Barontini. © Vincent Beaume
Fidèle à son style mêlant sérigraphie, impressions textiles et collages, Barontini propose ici une œuvre aussi poétique que politique, un pont entre les mémoires effacées et les récits à reconstruire. L’installation est visible jusqu’au 21 septembre.
Jardin de la Chapelle des Carmélites : l’amour sculpté
Soufiane Ababri propose, dans le jardin de la Chapelle des Carmélites, Welcome Bárbaros, une sculpture-banc tout en sensualité. Inspirée des bustes antiques de la villa de Chiragan, cette œuvre lie deux figures dans un geste tendre, intime, fusionnel.
Il donne ainsi forme à une union charnelle entre deux corps et deux époques. »
Installée dans un espace de promenade et de recueillement, cette œuvre invite à la pause, à la contemplation, et à la réinvention des liens amoureux et amicaux. Visible jusqu’au 21 septembre.
Welcome Bárbaros, Soufiane Ababri. © Vincent Beaume
Lieu-Commun : Famille de Chœurs
Lieu-Commun accueille Famille de Chœurs, exposition collective mêlant des œuvres de Jérémie Danon, de l’exposition Faire Famille et de jeunes artistes diplômés de l’isdaT. Là aussi, le motif de la famille choisie, du collectif, du soutien mutuel est central.
Famille de Chœurs, Marie-Claire Messouma Manlanbien, Margaux Sahut. © Vincent Beaume
À voir jusqu’au 28 juin, cette exposition fonctionne comme un écho, un prolongement sensible de la grande exposition du musée Saint-Raymond.
Et ailleurs : prolonger les récits dans la ville
Dans le quartier Arnaud Bernard, l’artiste Meryem-Bahia Arfaoui invite les passants à tendre l’oreille. Son œuvre sonore, répartie dans l’espace public, donne à entendre des voix, des récits intimes, des fragments de mémoire urbaine.
MursMurs, Meryem-Bahia Arfaoui. © Vincent Beaume
Enfin, à l’Université Toulouse Capitole, l’exposition Magik Kwir de Brandon Gercara est visible jusqu’au 29 novembre. Dans ce projet, iel « comble, par la fiction, les silences de l’histoire kwir » depuis une perspective réunionnaise, féministe et décoloniale.
Magik Kwir, Brandon Gercara, Faire Famille, exposition collective commissariée par Yandé Diouf. © Vincent Beaume
Un amour contagieux
Placée sous le signe de l’amour et des familles choisies, l’édition 2025 du Nouveau Printemps ne s’achève pas avec l’été. Les œuvres continuent d’habiter les lieux, de résonner avec le public, de semer des graines de réflexions dans la ville.
Comme l’écrivait bell hooks, figure citée par le festival :
Des changements profonds dans notre façon de penser et d’agir doivent se produire si nous voulons créer une culture de l’amour. »
À Toulouse, les beaux jours ont décidément un goût d’éternité…
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