Deux agressions visant des influenceuses d’origine asiatique ont eu lieu dans les rues de Toulouse (Haute-Garonne) en ce mois de mai 2025. Après la streameuse Jinnytty, une jeune femme a entendu « Ching, chang, chong » en croisant un passant. Le racisme anti-asiatique en France, c’est le sujet d’enquête de la journaliste Linh-Lan Dao. Interview.
La scène se déroule dans les rues de Toulouse, un samedi soir. Une jeune influenceuse raconte. « Je marchais tranquillement dans Toulouse et j’ai entendu « Ching, chang, chong ». Du coup, je suis partie le voir pour lui demander si c’est lui qui avait dit ça. Il a dit oui. Et son pote a dit : il n’est pas raciste, il est turc. C’est comme les gens qui disent : je ne suis pas raciste, j’ai un ami noir. La justification de merde« , livre Lucie dans une des vidéos publiées sur les réseaux sociaux. Lucie a affiché le visage de celui qui l’a insultée. La jeune femme assume totalement. « Arrêtez de normaliser le racisme« , dit-elle en conclusion de l’un de ses enregistrements.
Linh-Lan Dao vient de publier un livre enquête sur le racisme anti-asiatique en France (Vous, les Asiates…, aux éditions Denoël). Les agressions verbales, les discriminations, elle y a été confrontée depuis toute petite. Elle a recueilli de nombreux témoignages et dénonce, dans son livre, un racisme « systémique » envers les personnes d’origine asiatique. Elle nous livre son sentiment sur les deux récentes agressions qui se sont déroulées dans les rues de Toulouse. Décryptage.
France 3 Occitanie : Qu’est-ce que vous inspirent ces deux récentes agressions à Toulouse ?
Linh-Lan Dao : Malheureusement, ce genre d’agression ne me surprend pas et c’est quelque chose qui a toujours existé. Pour moi, ce type d’agression, ça représente le harcèlement de rue et le sexisme qu’il y a envers les femmes. Et puis, on a une dimension raciste qui s’ajoute à cela. C’est-à-dire que les personnes perçues comme asiatiques, elles sont souvent visées parce qu’on pense qu’elles ne vont pas répliquer ou ne pas porter plainte. Dans l’imaginaire des agresseurs, ce sont des cibles faciles.
Dans l’histoire de la Sud-Coréenne, on a un homme qui arrive en trottinette et qui apparemment lui donne un coup dans son téléphone portable. Ça reste quand même une agression physique. Il y a une enquête pour déterminer s’il a bien prononcé ou pas le terme de « sale Chinoise ». Par contre, il a bien dit « sale pute », ce qui peut s’apparenter à un outrage sexiste. Ça, c’est vraiment typique du harcèlement de rue. C’est une agression qui est violente. Et ça montre qu’en fait, quand on est une femme et quand on est asiatique, on est doublement plus vulnérable dans l’espace public.
« Ching chang chong », ce n’est pas juste une façon de dire bonjour. C’est vraiment de l’humour raciste, une moquerie utilisée pour dénigrer la personne sur la base de ses origines.
Linh-Lan Dao, autrice de « Vous, les Asiates. Enquête sur le racisme anti-asiatique en France »
Dans le cas de la deuxième jeune femme, qui est influenceuse et elle aussi d’origine asiatique, il n’y a pas de violence physique. Mais quand même, « Ching chang chong », ce n’est pas juste une façon de dire bonjour. C’est vraiment de l’humour raciste, une moquerie utilisée pour dénigrer la personne sur la base de ses origines. Et je trouve que ce qu’a fait cette jeune fille, poursuivre cet homme et l’interpeller, le filmer pour le mettre devant ce qu’il a fait, de dire que ses actes ont des conséquences, je trouve ça très bien. Ça casse quand même le cliché de la personne asiatique qui ne se défend pas et qui se laisse faire. Et puis surtout, elle porte plainte et je trouve ça courageux.
France 3 Occitanie : est-ce une bonne idée d’utiliser les réseaux sociaux pour dénoncer ces faits, et s’exposer à encore plus de réactions racistes ?
Linh-Lan Dao : Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, ce sont des choses qui vont être plus dénoncées, en fait. Le téléphone portable, finalement, est un outil de défense. Pour montrer. C’est une sorte de menace, c’est pour dire à son agresseur « Regarde, je te filme et je risque de diffuser ça sur les réseaux sociaux et il y aura des conséquences ». Ça peut être un levier d’action pour les victimes qui sont effectivement victimes d’agressions.
Les réseaux sociaux, ça permet de mettre en lumière quelque chose qui était réellement vécu par les personnes en question, mais qui n’était pas forcément documentée. Donc, ça, c’est plutôt une bonne chose. Après, c’est vrai qu’il faut faire attention quant au fait de partager une vidéo en dévoilant l’identité d’une personne sur les réseaux sociaux, qu’elle soit en cause ou pas.
France 3 Occitanie : d’où vient cette image de la femme asiatique qui ne va pas se défendre ?
Linh-Lan Dao : En fait, le racisme anti-asiatique en France, de manière générale, il est alimenté par une sorte d’imaginaire colonial qui nous vient d’il y a très longtemps. Cet héritage s’appuie par exemple sur l’image des Asiatiques qui sont soumis, qui ne vont pas faire de vagues. Il y a aussi l’idée que les Chinois ont beaucoup d’argent. L’hostilité est aussi véhiculée par une idéologie raciste autour de l’idée du péril jaune. L’invasion des Asiatiques en France. Et ça, c’est quelque chose qui date quand même du 19ème siècle, mais qui perdure dans l’imaginaire.
Pour en revenir aux agressions physiques ou verbales, énormément de personnes asiatiques l’ont vécu. Après, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il y a aussi les discriminations à l’embauche et au logement. Et il faut en parler.
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