Très peu connu du grand public, le cytomégalovirus est la première cause de handicap congénital. Il fait l’objet d’un dépistage chez la femme enceinte. L’Italie et l’Allemagne le font systématiquement. En France, une association basée à Cugnaux se bat pour. Elle a plaidé cette cause fin mai devant l’Assemblée nationale.
Le cytomégalovirus (CMV) est un virus appartenant à la famille des herpès au même titre que la varicelle ou l’herpès labial. Très peu connu du grand public, il est pourtant dangereux en cas de grossesse, car il peut entraîner de graves complications pour le fœtus. D’autant plus dangereux qu’il se transmet très facilement et ne provoque pas de symptômes. Anne-Hélène Labissy, fondatrice de l’association « Chanter Marcher Vivre » basée à Cugnaux, a accepté de répondre à nos questions.
France 3 : Votre association fondée en 2006 vise à faire connaître le Cytomégalovirus (CMV) du grand public. Pourquoi est-ce important ?
Anne-Hélène Labissy : Le CMV est la première cause de handicap congénital. Il peut provoquer une insuffisance hépatique et des troubles neurologiques sévères chez le bébé comme des microcéphalies, un retard mental, une surdité bilatérale.
On milite pour le dépistage bien évidemment, mais aussi l’information des femmes enceintes, c’est-à-dire qu’elles puissent connaître les mesures de prévention, les périodes pendant lesquelles elles sont à risque. Grâce à la recherche menée en France mais aussi au plan international, on sait que la période la plus à risque, c’est 2 à 3 mois avant de tomber enceinte, jusqu’à la fin du premier trimestre. C’est là où il y a le plus fort risque de transmission et de séquelles lourdes.
On milite aussi pour que les personnels médicaux soient correctement formés, puisque aujourd’hui malheureusement la connaissance du CMV est très obsolète. On accompagne les familles qui nous rejoignent malheureusement quotidiennement suite à la découverte d’un CMV.
France 3 : Que faire quand une femme enceinte est porteuse de ce virus ?
Anne-Hélène Labissy : C’est selon le moment où le CMV est découvert. Parfois c’est en tout début de grossesse, donc dans ces cas-là, on peut les rerouter vers l’hôpital Necker pour avoir un suivi particulier et un traitement adapté. Parfois, c’est très tard dans la grossesse au moment où des échographies montrent des malformations graves.
Elles ont alors besoin de soutien à leur décision, qui peut être de poursuivre ou d’arrêter la grossesse. Parfois, c’est découvert après la naissance, donc il faut déterminer quel est le suivi à faire pour l’enfant ? Quel médecin ? Quel suivi ORL ?
Il y a 20 ans, on disait, on ne savait pas quoi faire face à ce virus. On croisait les doigts et on espérait que tout se passerait bien. Aujourd’hui, on le connaît beaucoup plus. Malheureusement, les médecins n’en parlent pas. Pourtant, si vous lisez les recommandations de la Haute Autorité de santé de 2004, il y a 21 ans, il est mentionné que les médecins doivent informer les femmes.
France 3 : Que sait-on de ce virus aujourd’hui ?
Anne-Hélène Labissy : On a découvert les périodes pendant lesquelles il est le plus dangereux. On pensait que c’était tout au long de la grossesse, mais on sait aujourd’hui que plus la grossesse avance, moins les risques sont importants. C’est pour ça que les recommandations sur le dépistage sont de tester quand la femme désire un bébé, donc au moment où elle enlève son stérilet, arrête la pilule. Si elle ne l’a jamais eu, on va la tester jusqu’à la fin du premier trimestre.
Le CMV fait partie de la famille des herpès. Ce sont des virus qui peuvent rester à l’état latent dans notre corps, qui sont réactivés si on en croise un nouveau, ou peuvent se réactiver à tel ou tel moment. On parle alors de réinfection, le virus se réactive.
Comme on ne dépiste pas les femmes, on est démuni face à cette réinfection. Les chercheurs n’ont pas beaucoup de matière pour mieux comprendre cette réactivation.
France 3 : Est-ce que les femmes enceintes ou qui désirent avoir un enfant peuvent pratiquer une forme de prévention ?
Anne-Hélène Labissy : Le CMV se transmet par les fluides humains, nos larmes, notre salive et notre urine. Il faut savoir aussi que 50 % des enfants qui sont gardés en collectivité l’attrapent pendant leurs 3 premières années. Ce qui fait que quand on est maman d’un enfant en bas âge ou quand on travaille auprès d’enfants petits, c’est là où on est le plus à risque.
C’est la raison pour laquelle on dit en prévention de ne pas partager la cuillère, comme on fait toutes : « est-ce que c’est chaud ou pas chaud ? ». Dans cette période-là, on ne partage pas la cuillère, ni nous, ni le conjoint car il peut le transmettre à la mère lors des rapports sexuels ou quand il l’embrasse.
On fait attention quand on change le bébé en se lavant bien les mains après. On évite les bisous sur la bouche ou les baisers sur les joues quand le bébé pleure… Tout ce qui va être en contact potentiel. Donc ça, c’est avant la grossesse, deux mois avant, a minima, et au moins jusqu’à la fin du premier trimestre. Après, si on se protège, c’est très bien, même si on sait que la transmission du virus est beaucoup moins importante, et donc les risques de séquelles moins élevés. Mais ce n’est pas neutre.
Le Covid est passé par là et nous aide en termes de prévention. Les gens font plus attention à se laver les mains, du gel hydroalcoolique, etc. Et donc, on comprend mieux ces gestes barrières. Et la grossesse, c’est quand même une période où les femmes font très attention.
France 3 : Dans ce contexte, le dépistage est-il votre objectif majeur ?
Anne-Hélène Labissy : Oui. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, on a à notre disposition plus d’informations sur le sujet et un traitement qui peut être pris en cours de processus. Il existe depuis 40 ans et montre que s’il est pris très tôt après l’infection, il limite très largement le risque de transmission et donc le risque de séquelles.
Ce qui permet aux mamans qui malheureusement sont infectées de pouvoir encore ressentir un espoir de protéger leur bébé. Il y a 10 ans, on n’avait pas toutes ces informations-là, on n’avait pas autant de recherches qu’aujourd’hui.
On demande de faire un dépistage parce que notre objectif, c’est au moins qu’on parle du CMV. Dans d’autres pays, les femmes sont beaucoup plus informées et dépistées que nous. En Italie et en Allemagne, les femmes sont systématiquement dépistées, en Israël aussi. En Belgique, ils l’ont fait aussi mais maintenant ce n’est plus remboursé, pour des questions budgétaires je pense.
Au Canada ou aux États-Unis, ils dépistent à la naissance. On peut toujours donner un antihistaminique, un traitement pour le bébé au cours des 4 à 6 premiers mois. Mais en fait, il a été contaminé. Ici, ce que l’on souhaite, c’est pouvoir le faire pour découvrir si le fœtus est infesté et si oui, le faire bénéficier d’un traitement.
On est début juin 2025, la Haute Autorité de Santé travaille justement sur le sujet et nous attendons ses recommandations. On espère qu’ils vont enfin se prononcer en faveur du dépistage. Il faut savoir que tout ce qui est prénatal, les traitements en cours de grossesse, c’est un sujet très, très, très difficile. Puisqu’on est sur de l’anténatal, il y a énormément de questions éthiques.
J’espère a minima qu’ils vont avoir une position beaucoup plus forte sur l’accompagnement des femmes et sur les mesures de prévention. On parle d’un virus que toutes les femmes devraient connaître, sinon c’est vraiment les empêcher de pouvoir agir. C’est à ce titre-là que nous étions à l’Assemblée nationale le 22 mai, pour dire qu’on prive les femmes d’un droit fondamental.
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