À l’aube d’une nouvelle ère, Pierre-José Billotte, animateur du collectif des assises du New space qui regroupe tout le spatial français, explore dans un essai « Homo Solaris » la transformation de l’humanité en civilisation multiplanétaire. Il interroge nos capacités à bâtir une société durable sur Mars et dans l’espace, tout en repensant notre rapport à la Terre.
En 1865, Jules Verne publie « De la Terre à la Lune », un roman d’anticipation qui raconte les préparatifs de la première expédition humaine sur la lune. Visionnaire, il marque le premier temps de l’histoire spatiale.
En 1969, l’alunissage des Américains achève en quelque sorte le cycle amorcé par l’auteur des « Voyages extraordinaires ». Fruit de politiques publiques, d’une course à l’espace entre deux super-Etats, les Etats-Unis et l’Union soviétique, qui se disputaient la domination mondiale.
Pour la première fois de son histoire, le genre humain s’apprête à disposer réellement des moyens techniques, économiques et culturels de s’installer sur une autre planète que la Terre.
Pierre-José Billotte, Collectif des assises du New Space en France
Entrent ensuite en scène de nouveaux acteurs : les entrepreneurs, biberonnés à la saga Star Wars et la guerre des étoiles de George Lucas (1977). Et l’amorce d’un processus de démocratisation de l’accès à l’espace. Plus facile et moins cher. « Pour la première fois de son histoire, le genre humain s’apprête à disposer réellement des moyens techniques, économiques et culturels de s’installer sur une autre planète que la Terre« , assure Pierre-José Billotte dans son dernier essai « Homo solaris, à l’aube d’une nouvelle civilisation ».
Pierre-José Billotte est un pionnier du New Space en France. Il anime le collectif des assises du New Space, un think tank réunissant les dix-huit organisations du spatial français, dont le CNES, l’ESA, l’Université de Toulouse, Supaéro… « L’objectif du New Space ou nouveau spatial consiste à faire, sur le plan industriel, plus efficace, moins cher, plus rapide, plus sûr et si possible fonctionnellement mieux que les agences spatiales. »
Avec Elon Musk, par exemple, l’argent n’est plus vraiment un sujet. En 2016, il annonce le projet d’aller sur Mars pour y bâtir une cité d’un million d’habitants. L’homme est un provocateur mais il met tout en œuvre.
Aujourd’hui, il faudrait six mois pour aller sur Mars. L’objectif est de réduire considérablement cette durée. De très nombreux ingénieurs y travaillent pour diviser le délai de voyage par 2 ou 3.
En poursuivant la démonstration de l’auteur, tout dans son rôle de promoteur de ce nouveau monde, le néophyte a l’impression d’entrée en pleine science-fiction ou Ray Bradbury serait à la manœuvre. Sur Mars, il faudra se transporter, habiter, vivre, manger et se divertir, il faudra aussi produire, travailler… Des designers ou l’hôtellerie de luxe, par exemple, y travailleraient déjà. Mais alors, comment transformer une idée futuriste en réalité tangible ?
Mais Pierre-José Billotte l’assure : « Nos raisonnements se font souvent à science et technologie constantes. Il faut remettre le moment présent dans le temps long et ses effets, passés et futurs ouvrent des horizons magiques. L’avenir est toujours plus surprenant qu’on ne l’imagine. » L’auteur insiste sur la nécessité d’une évolution culturelle, sociale et éthique.
Mais, même s’il était possible de construire une société multiplanétaire dans le système solaire, le terrien a-t-il envie d’Espace au moment où les défis écologiques sont nombreux. Deux mondes s’affrontent : Elon Musk versus Greta Thunberg. « Ils proposent chacun leur solution pour sauver le monde avec deux postulats opposés : rester ou partir. Il a choisi de construire un Nouveau monde ailleurs, elle de sauver l’ancien ici« .
Pierre-José Billotte, lui, a choisi : il, est prêt à partir vivre sur Mars. Et vous ?
Couverture du livre Homo solaris • © Editions Fayard
En quoi consiste le collectif des assises du New Space dont vous êtes l’animateur ?
Il existe depuis quatre ans. Nous avons formé un collectif de 18 organisations qui représentent quasiment tout le spatial français.
Ce think tank s’est donné deux missions à l’époque : organiser une conférence en France dédiée à la nouvelle économie spatiale, au New Space, et écrire un premier rapport qui fasse état du New Space français et qui fasse également un certain nombre de propositions pour le développement de la nouvelle économie spatiale en France. Ce collectif, ce think tank, dont je suis l’animateur depuis maintenant quatre ans, se réunit toutes les semaines et prépare sa quatrième conférence au mois de juillet à la Cité des Sciences.
Vous écrivez, « Il nous faut tous avoir conscience que nous vivons un moment exceptionnel de l’histoire de la relation de l’humain à l’espace « . Pourquoi ?
C’est la première fois que l’humain ou l’humanité se donne les moyens technologiques et financiers de pouvoir installer des communautés humaines dans le système solaire.
Tous les feux sont au vert aujourd’hui. La technologie rend possible ce que j’appelle, moi, de rompre avec l’assignation à résidence sur Terre.
Quand je parle de communauté, je ne parle pas de 3-4 personnes qu’on met dans la station spatiale internationale. Je parle de la capacité à installer 1 000, 10 000, 50 000, peut-être plus de personnes dans le système solaire.
Selon vous, il n’y a plus d’intérêt à aller sur la Lune. Pourquoi ?
Aller sur la Lune, c’est plus un enjeu géopolitique qu’un enjeu humain. On pourrait installer des comités humains dans le système solaire sans intervention politique et même en s’affranchissant des agences spatiales si on le voulait vraiment.
La Lune, c’est petit, ce n’est pas loin et ça n’a pas de richesse, de richesse minière, par exemple qui permet d’envisager, de développer des communautés humaines de taille importante.
Et de ce point de vue là, aujourd’hui, il n’y a qu’une seule cible, c’est Mars.
Alors, justement, quel est l’intérêt de cette planète Mars ?
Mars a été une ancienne Terre. C’est une planète qui a ressemblé en de très nombreux points à la Terre, il y a 4 milliards d’années. Elle a conservé beaucoup d’eau et une richesse minière. On y trouve toutes les ressources nécessaires pour construire une économie, parce qu’on ne va pas importer les matériaux de la Terre pour aller sur Mars. C’est la clé du dispositif.
On y trouve toutes les ressources nécessaires pour construire une économie, parce qu’on ne va pas importer les matériaux de la Terre pour aller sur Mars.
Donc l’eau et le minerai, les deux éléments clés qui permettent d’envisager de créer des communautés humaines de grande taille sur Mars. Après, il y a plein d’autres raisons. Le fait qu’elle ait des journées qui font 24 heures. Cela permet d’avoir un climat, ça ne désoriente pas le corps humain.
Alors justement, à quand une communauté de terriens sur Mars ?
Alors ça, c’est le grand sujet. Elon Musk a annoncé un million de personnes avant la fin du siècle. Bon, évidemment, ça n’arrivera jamais. Mais il veut frapper les esprits.
Je pense que d’ici deux générations, c’est-à-dire 60 ans, on aura installé une communauté humaine de taille significative, peut-être 5 000 personnes.
Je pense que d’ici deux générations, c’est-à-dire 60 ans, on aura installé une communauté humaine de taille significative, peut-être 5 000 personnes sur Mars.
Faut-il opposer la conquête spatiale aux défis environnementaux auxquels il faut faire face sur Terre ?
Les deux projets de civilisation d’Elon Musk et de Greta Thunberg, pour moi, en réalité, sont deux réponses à une même angoisse de la société, qui proposent tous les deux, finalement, de faire survivre l’humanité. Un, en restant sur Terre, et l’autre sur une planète dans laquelle on puisse installer l’humanité.
La vision radicale écologiste s’oppose au spatial. Elle mène une bataille culturelle et politique contre le développement du spatial. Donc, le problème, c’est qu’il y en a un qui ne veut pas de l’autre. Il n’y a pas de lutte contre le réchauffement climatique sans les activités spatiales. C’est impossible. Donc, les gens qui militent contre le réchauffement climatique et qui en même temps s’opposent aux activités spatiales, c’est schizophrène.
Les deux projets de civilisation d’Elon Musk et de Greta Thunberg, pour moi, en réalité, sont deux réponses à une même angoisse de la société.
En 2016, le célèbre physicien Stephen Hawking a mis l’humanité en garde. « Je ne pense pas que nous survivrons 1.000 ans de plus si nous ne nous échappons pas de notre fragile planète ». C’est une vision anthropologique. C’est-à-dire celui très long terme de la survie de l’espèce.
Pour le scientifique, le salut de l’humanité réside donc dans la découverte de nouvelles planètes : « il faut continuer à aller dans l’espace pour le futur de l’humanité » (NDLR)
Vous parlez beaucoup dans votre livre des États-Unis, de la Chine et de l’inde. Et l’Europe dans tout ça ?
L’Europe, elle est dans les tribunes, elle commente le match. Entre la Chine et les Américains. Et peut-être l’Inde. Il y a une dimension on va dire civilisationnelle. L’histoire américaine, c’est une civilisation qui est fondée sur la colonisation.
Il n’y a pas d’Europe-puissance. L’Europe n’existe pas en tant que nation, elle n’existe pas en tant que puissance. Et c’est ça le drame du spatial européen aujourd’hui. Le budget de l’ESA (Agence Spatiale européenne) fait un tiers du budget de la NASA. Le ratio entre l’Europe et les Etats-Unis, en termes d’investissement, que ce soit d’investissement public ou d’investissement privé, on est dans un rapport de 1 à 5.
L’Europe, elle est dans les tribunes, elle commente le match.
Il faut des investissements considérables. L’Europe sort de l’histoire. C’est ça le drame. Elle en sort parce que ce n’est pas une Europe puissance. Il n’y a pas de nation européenne.
Attention, l’Europe fait des choses. Mais ça reste en orbite terrestre. On a pris 20 ans de retard. Il n’y a pas de vision politique qui amène une transformation du spatial européen. S’il y a une seule mesure à faire, c’est d’intégrer l’ESA comme une agence spatiale de l’Union Européenne abondée par le budget de l’Union Européenne.
NDLR : En ce mois de juin 2025, l’Institut Montaigne pointe les nombreux trous dans la raquette du spatial français et européen et appelle à un sursaut stratégique. Quelle nouvelle stratégie spatiale pour la France ? Emmanuel Macron doit dévoiler, dans le cadre du salon aéronautique du Bourget (16 au 22 juin), les priorités du pays. La France est la première puissance spatiale européenne,avec 350 entreprises et plus de 20.000 salariés.
Une dernière question plus personnelle. Êtes-vous prêt à aller sur Mars ?
Ce sont des choix de vie différents. Ma réponse à moi, c’est oui. Cette notion de ceux qui restent et ceux qui partent, c’est une histoire humaine intemporelle et universelle.
Je ne me sens pas plus attaché à la Terre que je me sens attaché au village où je suis né. Je fais partie des humains qui ont envie de continuer l’épopée de l’humanité dans la Cité solaire. Il n’y a aucune raison que ce ne soit pas le cas. Je pense qu’on peut construire des choses extraordinaires sur Mars. Mais ce moment, je ne le verrai pas.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse