Sa grande carcasse ne passe pas inaperçue dans les travées du Wallon, où il ne manque pas un match d’Alexandre Roumat, son fils. Après avoir fait le déplacement à Toulon pour le quart de finale, celui que l’on surnommait « La Roume » sera, en voisin landais qu’il est, présent à Bordeaux pour la demi-finale de Champions Cup dimanche 4 mai (16h). Il nous parle du N.8 stadiste.
Suivez-vous toujours les matchs à domicile d’Alexandre ?
Oui. Je viens parce que c’est un des rares moyens de voir mon fils. Sinon, je ne le vois que quatre fois dans l’année à Hossegor. Donc je me suis abonné.
Quels souvenirs gardez-vous des moments où il venait vous voir sur la fin de votre carrière ?
Ce sont des bons souvenirs, parce qu’il m’a vu lever le Bouclier en 2002 avec Biarritz. Il avait 5 ans. Il venait avec sa mère, surtout. Je ne sais pas s’il arrivait à tout capter parce qu’il était tout petit, mais il a quand même des souvenirs de la finale au Stade de France. Il a été baigné dans cet univers-là.
A-t-il a gardé sa peluche avec le maillot floqué du numéro 5 qu’il avait ce jour-là ?
Pas à Toulouse, ça c’est sûr, mais dans sa chambre à Hossegor, c’est possible. Il y a peut-être mis des aiguilles dedans parce que de temps en temps, j’ai un peu mal au dos (rires) ! Mais ça va quand même, on n’a pas trop à se plaindre. Non, ce qui me fait bien ch…, c’est qu’il drive (au golf, NDLR) plus long que moi ! Il me met 50 mètres, ça me rend fou. Et en plus il me branche ! Depuis tout petit, on a toujours eu cette relation de challenge. Il est comme moi. Il a horreur de la défaite. Et moins on l’attend, plus il est là. J’étais un peu comme ça. Il a besoin de temps en temps d’être challengé. Depuis l’âge de 4 ou 5 ans, je l’ai toujours challengé dans tout.

Comment ?
Ça a commencé par un bout de papier à lancer à la poubelle à 3 mètres, avec 1 euro de gain. S’il perdait, il me devait 1 euro. On a fait des tournois de basket. Dans la piscine, quand on se lançait les ballons, on rattrapait d’une main, un œil fermé, prise main gauche, main droite… On a toujours eu des petits challenges, ce qui fait qu’il a toujours eu cette dextérité. Et là, il joue au golf, il me démonte. C’est chiant, quoi (sourire).
L’élève commence à dépasser le maître…
Il ne me reste plus grand-chose pour le chauffer mais j’arrive encore à le brancher (sourire).
Avec vos 61 sélections ?
Les Brennus, on est à égalité (2, NDLR), mais il va vite me dépasser à mon avis. La Coupe d’Europe, je ne l’ai pas gagnée, lui oui. C’est un petit challenge amical entre nous deux. Et puis, quand il a été international, je lui avais dit : « Mais de toute façon, tu ne le seras vraiment que quand tu auras battu les Blacks. » Donc, quand il les a battus en novembre, ne vous inquiétez pas, il a su me le dire. Mais je lui ai dit : « Ecoute, maintenant, quand tu auras battu les Boks, tu pourras parler. » Il faut les battre les Springboks (sourire).
Est-il vrai que vous ne vouliez pas qu’il débute par le rugby ?
Je voulais simplement que ce soit lui qui décide de ce qu’il avait envie de faire. Il a commencé par la Cesta Punta (discipline de la pelote basque, NDLR). Il y a une très, très bonne école à Hossegor et ça a été très formateur parce que c’est un sport d’adresse, un sport de balle, de placement. C’est magnifique à voir. Il a bien réussi parce qu’il a été deux fois champion de France. Il a toujours été adroit.
Cela se voit sur un terrain…
Cela ne suffit pas mais ça aide. Mais je lui dis toujours qu’à ce jeu, ce sont le combat et les bases qui comptent. Et ensuite, la différence se fait par le jeu, mais pas l’inverse car jouer à la baballe ne te fait pas gagner un match. Et il le sait très bien,
Quelle relation vous entretenez tous les deux ? On a l’impression que c’est assez fusionnel.
Oui, c’est fusionnel. Alexandre est quelqu’un de très réfléchi, donc on ne peut pas trop lui raconter n’importe quoi. C’est quelqu’un qui a une très bonne autoanalyse sur ses performances, sur ce qu’il veut faire. Moi, je le laisse vivre le rugby et sa vie comme il le souhaite, même si on échange énormément sur ses performances. Mais je n’ai pas besoin de trop le motiver. Il a cet amour pour le rugby qui me fait plaisir parce que c’est un enfant de la balle. C’est un gamin qui a toujours aimé jouer. Et le plaisir de jouer, c’est ce qui le fait avancer. C’est pour ça qu’il se régale au sein du Stade Toulousain. Ce qui n’empêche pas d’être présent dans le combat, de faire des sacrifices pour se préparer dur, prendre des coups, travailler les bases de ce jeu.
« Quand tu lui donnes une feuille de route, il ne faut pas trop lui raconter la messe »
Comment le définiriez-vous ?
C’est un gamin qui est altruiste. Il joue pour les autres. Un entraîneur lui avait dit qu’il ne comprenait pas pourquoi il ne marquait pas d’essai. Et lui avait dit : « Ecoute, moi je préfère faire marquer un coéquipier que marquer. » C’est comme la touche. Il adore décrypter, organiser et en a fait une arme. Mais s’il faut passer une mi-temps sans qu’il saute en touche parce qu’il a vu une zone qui est plus facile à prendre par un coéquipier, il va le faire. Ce n’est pas un joueur qui va tirer la couverture à lui. Et c’est pour ça que partout où il est passé, il a laissé un très bon souvenir, que ce soit à Biarritz, à Bordeaux ou là où il est, à Toulouse, parce que les joueurs savent qu’il donne énormément pour le collectif. Je pense que c’est une de ses principales qualités, au-delà du joueur de rugby qu’il est. J’ai un avis mais je ne vais pas vous le dire. Je parle de l’homme, du caractère, de sa manière de vivre à l’intérieur d’un groupe. Et s’il y a un sport qui est collectif dans ce monde, c’est bien le rugby. Sans l’équipe, on n’est rien. Ce qui n’empêche pas d’être jugé sur des performances individuelles, mais toujours dans un cadre collectif. C’est l’équipe qui fera que les joueurs seront performants et que les joueurs donneront à cette équipe. C’est ce que fait le Stade Toulousain et il le montre tous les week-ends, quelles que soient les compositions de l’équipe.
En quoi le Alexandre d’aujourd’hui a changé par rapport à celui qui est arrivé de l’UBB il y a bientôt trois ans ?
Déjà, physiquement, il s’est un peu épaissi. Il est arrivé, je pense qu’il était à 106 kg, là, il est à 112 donc il a pris 5-6 kg de muscles. Je pense que le palier qu’il a franchi, c’est d’avoir joué dans cette équipe, de s’être imposé dans le groupe du Stade Toulousain. Et ensuite, le fait d’aller en équipe de France, lui a permis aussi de voir que la marche, au niveau international, est encore plus haute. Parce qu’après, quand on « redescend » en club, ça donne une certaine expérience et surtout une confiance en soi qui permet peut-être d’appréhender les choses différemment. Bien sûr que son objectif, c’est de bien jouer au rugby, de se régaler, de gagner des titres. Et je pense qu’au fond de lui, la sélection, il l’attendait. Il savait que ça allait tomber un jour et il n’avait pas le droit de se manquer parce que personne n’est propriétaire du maillot. On est tous de passage et on est jugé souvent sur un, deux matchs. Ce n’est pas comme le club. Donc je pense que ce passage à l’équipe de France lui a fait énormément de bien. Mais il se l’est gagné parce qu’avec les matchs qu’il a faits, avec le Brennus de 2023 et le doublé de 2024, il a fait d’excellentes saisons.

Face à l’UBB, ce sera son 89e match en trois ans…
Il se prépare, il est sérieux quand même dans sa préparation. Moi, je l’étais aussi, je ne faisais pas n’importe quoi. Mais dans ce rugby actuel, il sait très bien que son corps, c’est son outil de travail. Donc il y a la préparation physique mais il y a aussi la nutrition et la récupération. C’est un garçon qui dort beaucoup, récupère, fait attention. Il a une très bonne hygiène de vie. Et de toute façon, il sait que ça passe par là pour durer. Il y a tellement de bonheur quand on joue qu’il faut mettre tous les atouts de son côté. C’est un gamin qui est construit, clair dans sa tête. Donc quand tu lui donnes une feuille de route, il ne faut pas trop lui raconter la messe. Il aime bien qu’on lui dise exactement ce qu’on attend de lui et il n’y a pas besoin de lui répéter deux fois. Et je crois qu’il est heureux.
Pour quelles raisons ?
Parce qu’il se régale en club. Dernièrement, je lui ai dit : « Tu te rends compte des joueurs avec qui tu joues, de ce que vous arrivez à faire sur le terrain, des titres que vous gagnez ? C’est incroyable. Tu vas te faire des copains pour la vie. » Souvent, quand tu es dans le présent, tu n’arrives pas à le mesurer. C’est après, quand tu arrêtes ta carrière, que tu te dis que c’était vraiment exceptionnel. Et là, ce qui m’a marqué, c’est qu’il m’a répondu : « Non, ce ne sont pas mes copains, ce sont mes frères. » Ça, ça m’a fait plaisir parce que tu as toujours l’impression que le Stade Toulousain est une constellation de stars qui jouent au rugby mais c’est avant tout un groupe de potes. Ça veut dire que les mecs qui portent ce maillot, ils ont quand même cette responsabilité de gens qui sont passés avant eux, qui ont gagné et qu’il faut toujours garder le club au très haut niveau. Je trouve ça super que les joueurs toulousains en particulier respectent ce passé pour pouvoir se projeter dans le présent et dans l’avenir. Et ça, c’est toute la grandeur du club. C’est la réussite du staff, de Jérôme Cazalbou et de Didier Lacroix d’arriver à faire ça car pour l’avoir vécu dans d’autres clubs, c’est très, très, très difficile à accomplir. Là, on a l’impression que tout le monde tire dans le même sens. Même les gens de l’administratif, ils sont tous focalisés sur la victoire. C’est un truc de dingue d’être habités par cette volonté de gagner et de bien jouer mais pas à n’importe quel prix.
Ce match face à son ancien club aura-t-il une saveur particulière ?
Je pense que oui parce qu’il y a joué cinq ans quand même. Il n’a que des copains là-bas, il n’a pas d’animosité particulière. Mais après, oui, bien sûr que quand on joue contre son ancien club, on veut toujours montrer qu’on est là. Donc, je ne sais pas, il faudra lui demander, qu’est-ce que vous en pensez ?
De l’extérieur, on penserait plus à un problème de personne avec Christophe Urios qu’avec l’UBB…
Alexandre n’est pas rancunier. Il prend ça comme une expérience qui lui a permis d’avancer, vous voyez ? Dans la vie comme dans une carrière, ce n’est jamais rectiligne, on a toujours des déboires, des blessures, des échecs sportifs. On repart de zéro, on remonte, il faut se remettre en question. Moi, je suis admiratif de tout ce qu’a fait Alexandre parce qu’il n’a pas eu une trajectoire rectiligne. À 20 ans, il explosait tout mais chacun a son chemin. Il a fait le sien et puis respect, quoi. Parce que personne, mais alors absolument personne, et encore moins son père, ne le lui a donné. Il est allé se le chercher tout seul. Parce qu’au début, quand même, c’était toujours le fils de… Mais maintenant, c’est moi qui suis le père d’Alexandre donc je suis très content.