Une série documentaire de Léa Barracco revient ce dimanche sur l’affaire du Patriarche, association née à Saint-Paul-sur-Save, en Haute-Garonne, en 1974. Retour sur les lieux de création de l’organisation, accusée plus tard de dérives sectaires.
Quatre épisodes d’environ quarante minutes pour décrire une affaire hors norme : c’est la série documentaire « Le Patriarche : le gourou des drogués », dont le dernier volet est diffusé ce dimanche sur Planète + Crime. Créée en 1974 par Lucien Engelmajer, l’association Le Patriarche proposait une méthode alternative de prise en charge des toxicomanes, sans recours à un personnel médical. Au début des années 70, le fondateur s’installe dans un domaine aux airs de petit château, à La Boère, dans la commune de Saint-Paul-sur-Save, à 20 km de Toulouse.

Certains habitants s’en souviennent très bien, comme Jean Boissières. « Lucien Engelmajer était très imposant, avec beaucoup de cheveux et une longue barbe blanche, raconte l’homme de 82 ans. C’était un personnage attrayant, à la fois marginal et cultivé, qui avait la capacité de mobiliser. On connaissait aussi bien son épouse, institutrice dans la région. Au départ, il s’est intéressé aux jeunes du village, il les invitait dans le domaine pour des activités culturelles, des travaux manuels. »
Jean-Claude Perez a fait partie de ces adolescents qui ont connu La Boère à ses débuts. « J’avais 17 ans, se souvient-il. J’y ai passé du temps pendant les vacances, avec une brouette, pour déblayer. Lucien Engelmajer était sympathique, et permettait aux jeunes qui ne savaient pas quoi faire d’être actifs. » Puis Jean Boissières, qui a aussi été maire de Saint-Paul-sur-Save de 2014 à 2020, évoque une « rupture » avec les jeunes du village. « Le Patriarche a commencé à accueillir des toxicomanes, détaille Jean-Claude Perez. La drogue, ce n’était pas un sujet pour nous. »
Les conditions d’accueil questionnées
« Dans les années 80, jusqu’à 100 gamins étaient dans le centre, souvent espagnols et italiens, alors que La Boère n’avait pas cette capacité. On a commencé à se poser des questions sur les conditions d’accueil. On avait des échos, disant qu’il les soignait brutalement », indique l’ancien maire. À l’époque, ce dernier gère les équipes de foot du village et intègre parfois des pensionnaires du Patriarche pour jouer. « Au bout de cinq minutes, ils étaient incapables d’avancer, ils vomissaient, c’était traumatisant de voir leur état de santé. »
« Ça se savait qu’ils ne mangeaient pas tous à leur faim, ajoute Jean-Claude Perez. Je n’habitais pas loin de La Boère, certains qui voulaient s’échapper passaient par mon jardin. J’en ai rencontré plusieurs, qui me racontaient qu’on leur avait retiré tous leurs papiers, alors qu’ils voulaient partir. »
Mais l’association apporte une solution face au problème de la toxicomanie, là où l’État faillit. Soutenue par plusieurs institutions, elle bénéficie aussi de subventions publiques. Le Patriarche connaît une expansion fulgurante, avec des communautés installées dans 17 pays et des milliers de résidents. Derrière cette façade humanitaire, de nombreuses dérives sont progressivement mises au jour : absence de soins, détournement de fonds, pratiques sectaires, accusations de violences sexuelles.
Des tentatives pour déloger Le Patriarche
« Le conseil municipal de l’époque a essayé plusieurs fois de les déloger, mais l’association louait le domaine via un bail agricole, alors c’était impossible », indique Jean Boissières. « Lucien Engelmajer se défendait, disant qu’il guérissait des gens, c’était son élément de pouvoir, précise Jean-Claude Perez, qui a fait partie de la municipalité. Au départ, son idée était effectivement bonne, mais il s’en est mal servi. »
En 1995, une commission d’enquête parlementaire classe Le Patriarche parmi les sectes. C’est à cette époque que l’association quitte Saint-Paul-sur-Save. En fuite pendant plus de dix ans en Amérique, Lucien Engelmajer est finalement condamné en 2007 par le tribunal correctionnel de Toulouse à cinq ans de prison et 375 000 € d’amende. Il décède la même année.
Jean-Claude Perez a regardé attentivement la série documentaire qu’il juge « très bien faite ». « Ça m’a fait rire qu’on s’intéresse à ce sujet maintenant, ça a mis du temps, nous, ça fait bien longtemps qu’on connaît cette histoire. » Les deux derniers épisodes seront diffusés ce dimanche soir, à 21 heures, sur Planète + Crime.