Habitué à la scène du Capitole, le ténor espagnol Airam Hernandez est à l’affiche du « Vaisseau fantôme » de Wagner, du 16 au 27 mai. Il reviendra à Toulouse avec deux rôles, la saison prochaine, dont le prestigieux Don José dans « Carmen ». Rencontre.
Pour vous qui êtes natif des îles Canaries, cet univers maritime du « Vaisseau fantôme », ça vous parle ?
Bon, les îles Canaries ne sont pas aussi tourmentées. Mais il est vrai qu’il y a des histoires un peu troublantes et macabres de fantômes. Je suis de Tenerife et sur toutes les îles il y a des légendes et une mer agitée ouverte sur le monde.
Interpréter pour la première fois un grand rôle wagnérien, c’est un défi ?
J’ai fait une première incursion dans cet univers, précisément dans « Le Vaisseau fantôme » quand j’étais encore en formation au Zurich Opera Studio. Et bien sûr, revenir maintenant avec le même opéra, mais dans le rôle d’Erik, cela donne davantage de responsabilités. Wagner a déjà un langage personnel défini quand il compose « Le Vaisseau fantôme ». C’est précisément dans cet opéra que son langage apparaît clairement avec le leitmotiv, notamment. La personnalité de sa composition est évidente.
Et le personnage d’Erik, cet amoureux déçu, comment l’appréhendez-vous ?
Quand vous travaillez sur un rôle pour la première fois, vous n’avez aucune référence. C’est-à-dire que vous étudiez le document sur la partition, vous regardez le texte et ensuite vous avez un avis. Puis, vous arrivez au théâtre et il y a une idée du metteur en scène à laquelle vous devez vous adapter… Au départ, je voyais ce personnage, Erik, comme le jeune homme amoureux typique qui perd la tête pour Senta, même s’il sait qu’il ne pourra probablement pas la conquérir. Ensuite, en travaillant le rôle au théâtre, je l’ai perçu plus sombre dans le sens où il est plus trouble. Il affiche un sentiment de peur, notamment la peur de la perdre, à cause de ce fantasme qu’elle a avec le Hollandais. D’ailleurs, les entrées sur scène sont beaucoup plus puissantes, beaucoup plus dramatiques. J’ai vraiment aimé pouvoir m’adapter à cette version, à cette vision de Michel Fau, le metteur en scène.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers le chant lyrique ?
En fait, c’est venu naturellement. Au départ, j’étais musicien. J’ai étudié la trompette et l’orgue pendant douze ans au conservatoire de Tenerife. Pendant ces années, je chantais aussi dans des chorales. J’ai eu l’opportunité de former un petit groupe de chant lyrique et ma voix s’est progressivement adaptée à ce type de répertoire. J’ai passé une audition pour la chorale du Liceo à Barcelone et j’ai été pris. À ce moment-là, j’ai compris que je devais me former dans cette spécialité. On avait beau me dire tu as une belle voix, bien accordée, je ne voyais pas cela comme une voie, comme un moyen de continuer à poursuivre une carrière dans le chant lyrique en tant que soliste. Et pourtant c’est arrivé précisément parce que plusieurs solistes, qui sont maintenant des collègues, sont venus à la chorale du Liceo, m’ont entendu chanter et m’ont dit de continuer.
Vous venez régulièrement à Toulouse depuis 2019, quels rôles avez-vous préféré interpréter ?
Ce n’est pas facile à dire car déjà je considère Toulouse comme ma maison. Ici tout se fait dans la camaraderie, dans le confort du théâtre. Donc, j’ai toujours eu de très bonnes expériences. Bien sûr, je pourrais dire « La Traviata », qui était le premier opéra, parce que je l’ai aussi partagé avec ma chère amie Anita Hartig. C’est la première fois que nous avons travaillé ensemble et maintenant nous avons une belle amitié. J’ai aussi fait mon premier Pollione dans « Norma » à Toulouse où j’ai pu travailler avec Karine Deshayes et Marina Rebeka. Je suis incroyablement reconnaissant envers Christophe Ghristi et le théâtre du Capitole de me donner maintenant l’opportunité de faire mon premier grand rôle de Wagner.
Et ce n’est pas fini car vous serez dans deux productions à Toulouse la saison prochaine… Deux œuvres très différentes. La première sera « La Passagère ». Appréciez-vous le registre contemporain ?
C’est ce que je préfère. Je suis spécialiste du répertoire contemporain. Un de mes masters portait sur l’interprétation des classiques contemporains. J’ai participé à des premières œuvres. Je suis très engagé auprès des compositeurs contemporains. Il y a seulement quelques mois, j’ai reçu une proposition formidable de présenter en avant-première des œuvres de compositeurs canariens qui triomphent dans le monde entier.Quand j’ai lu le sujet de « La Passagère », je me suis dit, ça va être très fort. Cette femme qui retrouve des années plus tard sa tortionnaire des camps de concentration. Ce qui est intéressant, c’est que cela est présenté du point de vue de l’oppresseur. Je joue le mari qui ne connaît pas le passé de sa femme. Je pense que cet opéra va être formidable. En fait, c’est moi qui aie supplié Christophe Ghristi de me proposer ce rôle tellement j’ai envie de le jouer. La musique est spectaculaire et le thème tellement touchant.
Ensuite on vous retrouvera dans « Carmen » où vous serez Don José. Ce rôle est-il particulier pour un Espagnol ?
En effet. Et ça m’arrive aussi ici. C’est pour ça que j’ai tant d’affection pour Toulouse. Parce qu’on me permet de rêver, de réaliser beaucoup de mes fantaisies lyriques. Don José m’a été proposé à plusieurs reprises mais j’ai considéré que ce n’était pas le moment. Je viens d’un répertoire lyrique léger. Maintenant, je chante un répertoire plus dense. Mais j’avais besoin que ce soit un moment où je me sens bien physiquement. J’aime aussi que le personnage ne me ressemble pas du tout. En tant qu’interprète, ça donne des ailes. Je ne suis pas du tout machiste. Le thème de la possession n’est pas non plus quelque chose qui me représente. Être violent ce n’est pas moi non plus. C’est ce qui me fascine le plus.
L’Espagne, il en sera aussi question pour votre participation au Midi du Capitole. Qu’allez-vous chanter ?
Lorsque le projet de faire le concert a été évoqué, il était clair que ce serait avec la pianiste Anne Le Bozek. J’ai déjà travaillé avec elle et il y a eu une bonne connexion. Il était important pour moi que ce soit un répertoire espagnol avec des airs aussi d’Amérique Latine, des différents pays où nous avons apporté notre culture. Ici à Toulouse, où la communauté hispanophone est importante. Ce ne sera pas un répertoire connu avec certaines œuvres de compositeurs canariens comme Teobaldo Power ou Guimera.