Nicolas Teyssandier, directeur de recherche au CNRS et directeur adjoint du laboratoire Traces de l’Université Toulouse Jean Jaurès, publié un passionnant ouvrage « Dans l’intimité de Sapiens : Vivre il y a 40 000 ans » aux éditions Alisio Histoire. Entretien.
Dans votre livre « Dans l’intimité de Sapiens », sorti en avril dernier, vous décrivez le quotidien de ces populations qui vivaient dans la région il y a 40 000 ans, entre enquête scientifique et récit immersif. À quoi ressemblait Sapiens ?
C’est comme vous et moi. Hormis que c’étaient des gens d’origine africaine, donc avec la peau foncée, qui peuplaient l’Europe à cette époque. Avec une morphologie similaire à la nôtre, un peu plus costaud car vivant au plus près de la nature et un mode de vie qui restait assez physique. Ils sont anatomiquement modernes, culturellement très différents, mais physiquement semblables à nous. On n’a pas connu d’évolution biologique notable depuis 40 000 ans.
La journée type d’un Sapiens ressemblait à quoi ?
Cela dépendait beaucoup des saisons. C’étaient des populations nomades qui évoluaient en pleine période glaciaire. Si l’on se place dans le sud-ouest de la France, il faut imaginer qu’il n’y avait pas de forêts, dans des régions d’herbes rases, de grandes steppes, qui ressemblaient plus au nord de la Sibérie qu’à notre environnement boisé, forestier, tel qu’on le connaît aujourd’hui. Avec des animaux très différents de la faune qu’on connaît dans nos forêts : des troupeaux de bisons, de chevaux, de rennes. Ce que nous donnent les sites qu’on fouille donne davantage un panel d’activités qu’une journée type. Il fallait allumer un feu, collecter des combustibles, réparer des outils en pierre ou les produire, partir à la chasse avec un panel d’armes, des moments plus spirituels tournés vers les mythes, les échanges d’objets symboliques, la décoration des vêtements, la préparation des peaux pour la couture des vêtements et se protéger pendant les périodes des grands froids. Et bien sûr l’art pariétal tel qu’on l’a découvert à la grotte Chauvet et la culture de l’Aurignacien. L’essentiel du livre, par commodité, je situe l’action dans le Sud-Ouest mais plus au nord que l’Occitanie actuelle, plutôt le Périgord. Quand je suis dans des moments plus narratifs, Sapiens navigue entre tel ou tel site, dans la vallée de la Dordogne où l’on a commencé à faire de la préhistoire à la fin du XIXe siècle, en France mais aussi à l’étranger.
Qu’apprend-on avec votre ouvrage que l’on ne connaissait pas sur Sapiens ?
J’ai une approche un peu différente. Ce qui m’intéressait, c’est d’aller au-delà de la description des équipements, des sites, des objets, mais montrer que la préhistoire d’aujourd’hui, avec les technologies qu’elle emploie, se nourrit d’un panel de disciplines (sciences de la terre, physique, chimie…). Grâce à tout cela, on a quand même une vision un peu plus sociale de ces groupes humains. Leurs règles sociales, comment se produisait leur circulation sur le territoire, comment des groupes éloignés les uns des autres pouvaient parfois se réunir, échanger. C’est une approche un peu plus paléo-sociologique, comme ce qu’on essaye de porter à Toulouse au laboratoire Traces (Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés), reconnu à l’international.
Que découvre-t-on en matière d’anthropologie sociale chez Sapiens ?
On est aujourd’hui très fort sur la détermination de l’origine géologique et géographique des silex qui sont abandonnés sur un site archéologique. On est capable d’étudier précisément ces silex : comment ils ont été faits, à quoi ils servaient mais aussi d’où ils venaient. À partir de là, par exemple pour l’Aurignacien, on peut reconstruire des réseaux de circulation des matériaux : sur le site de Béziers, on retrouve des silex qui viennent de Nîmes ou de la vallée du Rhône, mais aussi du nord de la Dordogne et des Charentes.
Cela veut-il dire que les populations se sont déplacées ?
Selon les quantités retrouvées, entre Béziers et les Charentes, on peut voir qu’il y a eu des zones de contact des groupes de Sapiens, soit pour des regroupements familiaux, des célébrations, des moments de partage où l’on échange des objets. Ce qui donne l’image d’un fonctionnement comme ce qu’on a pu observer chez plein de sociétés de chasseurs-cueilleurs. On peut imaginer que c’est dans ces moments-là qu’étaient favorisées les règles de l’exogamie, que des femmes étrangères au groupe viennent y vivre, créant un essentiel à la survie génétique du groupe, etc. On a aussi beaucoup d’exemples sur les parures, ces petits objets fabriqués en grande quantité en ivoire de mammouth, des coquillages perforés, certains très stéréotypés venant agrémentés des coiffes, des vêtements.