La jeune cavalière toulousaine n’en finit plus de briller et fait partie des grands espoirs de l’équitation tricolore. Après sa victoire lors du Saut Hermès en mars dernier, Jeanne Sadran nous a ouvert les portes de son écurie pour raconter son quotidien.
« Regardez, c’est le paradis ici », lance Jeanne Sadran en déambulant entre les écuries et la carrière. C’est avec un grand sourire que la cavalière toulousaine fait la visite au cœur de l’écurie Chev’el. Situé à Gauré, le complexe équin de la famille Sadran est sorti de terre en 2019 pour suivre le parcours exponentiel de la fille d’Olivier, ancien président du TFC (2001-2020). Une carrière qui a pris une nouvelle dimension il y a quelques mois, le 22 mars, lorsque la cavalière de 23 ans a remporté le prestigieux Saut Hermès.

« C’est un concours de saut d’obstacles très prestigieux déjà parce qu’il se déroule au Grand Palais, à Paris. Un lieu particulier, mythique. C’est un concours, unique, qui a son étiquette, il y en a qu’un dans l’année. C’était très chouette de pouvoir gagner en France, à Paris », raconte-t-elle, des étoiles dans les yeux. Une consécration pour elle et Dexter de Kerglenn, son fidèle destrier avec qui elle avait déjà brillé un an plus tôt, au Paris Eiffel Jumping.
La passion de Jeanne Sadran pour le monde équestre ne date pas d’hier. Et si elle a toujours baigné dans le football – son père ayant racheté le TFC au moment de sa naissance – le cheval a toujours eu une place à part. « J’ai découvert les chevaux de façon hyper classique. A l’âge de 4 ans, ma maman m’avait inscrit au poney club à côté de la maison à Pin-Balma, se remémore Jeanne Sadran. Au départ c’était juste pour faire une balade et quand j’ai essayé j’ai tout de suite accroché et je n’ai jamais arrêté. C’est devenu une passion d’un seul coup. Mais j’ai commencé la compétition très tard pour ce sport, à 9 ans. »

La compétition dès 9 ans et son premier concours à 12 ans, toujours dans la catégorie saut d’obstacles. « C’est la seule discipline que j’ai essayée, je ne connais que ça mais j’adore la sensation du saut et l’adrénaline que ça procure », s’amuse celle qui suit en parallèle des cours de finances à l’EM Lyon. Depuis, elle a gravi petit à petit les échelons jusqu’à atteindre le plus haut niveau mondial de l’équitation : « J’ai atteint le niveau 5 étoiles quand j’avais 18 ans. C’est notre Ligue 1 à nous, s’amuse-t-elle. Le plus dur c’est d’y rester. » Et elle porte aussi depuis ses 14 ans les tenues bleues de l’équipe de France, d’abord dans les catégories jeunes avant d’intégrer l’équipe sénior depuis deux ans… « Et ce n’est pas la même histoire. Il y a des cavaliers qui sont là depuis très longtemps. Il faut se battre et les vieux n’ont pas envie de laisser leur place ce qui est normal. »
Dexter, la star des concours
C’est donc dans l’est toulousain au cœur d’un paysage vallonné avec des champs à perte de vue que Jeanne Sadran se « bat » tous les jours pour défendre le drapeau tricolore en compétition. Bien consciente de sa chance, elle bénéficie au même titre que sa sœur Louise (20 ans, elle aussi cavalière en devenir) d’installations dernier cri. Installé sur 22 hectares, le complexe n’accueille pas moins de 25 chevaux de compétition, tous plus élégants les uns que les autres.

Parmi eux donc, Dexter, 12 ans, la star équine de l’écurie Chev’el. Dans son pré d’herbe verte le cheval de race selle français, qualifié de « hors norme » selon les observateurs, se la joue peinard en cet après-midi ensoleillé. « Il a bien travaillé ce matin, explique Jeanne Sadran avant de faire les présentations, la main sur sa crinière. C’est mon cheval de tête, mon meilleur cheval actuellement. Il est très intelligent et il a tout ce qu’on recherche : puissant, rapide, il a tout pour lui. C’est mon crack mais j’en ai d’autres qui sont aussi très performants. Ils m’accompagnent en concours et réalisent aussi des épreuves. »
Comme Dexter, tous les chevaux du centre équestre bénéficient de matériel dernier cri. À l’image de ce qui se fait dans les plus prestigieux clubs de foot ou de rugby de la planète, un bon nombre d’appareils sont mis à disposition pour faciliter la récupération et la performance des stars locales. « Un cheval, c’est un athlète comme un autre, pose la cavalière. Ils ont tout pour s’entraîner, des machines et des systèmes pour la récupération conçus exprès pour les chevaux ». Tapis roulant, balance, bains de récupération… Mais aussi une carrière d’obstacle extérieure, un manège, un parcours de trot, tout pour être dans les meilleures conditions lors des concours qui ont lieu chaque semaine.
Car être cavalier de haut-niveau implique un emploi du temps sans coupure. Jeanne Sadran tente de raconter une semaine type : « On a un rythme bien chargé. Les concours c’est beaucoup d’organisation entre les chevaux, le transport, la partie sanitaire etc, c’est assez compliqué mais j’ai une super équipe autour de moi qui m’aide beaucoup. On est à la maison du lundi au mercredi à peu près, on s’entraîne ici puis du mercredi au dimanche on est en concours. » Des concours qui peuvent la mener en France comme à l’autre bout du monde. « Par exemple, on a fait une tournée de six semaines à Doha (Qatar) récemment. On est rentré en France qu’une seule fois. De façon générale on est peu à la maison. »
Ne pas penser à Los Angeles
Un rythme de vie peu commun mais qui lui convient : « C’est passionnant, on bouge beaucoup on découvre plein de pays et de villes différentes, des cultures différentes c’est génial. Je me sens vraiment privilégiée de pouvoir faire ça, faire quelque chose qu’on aime en parcourant le monde. C’est génial. Je n’ai pas toujours le temps d’en profiter car les journées sont bien chargées mais j’essaie tout le temps d’avoir au moins une demi-journée pour visiter le lieu où je me trouve. » Consciente de pratiquer une discipline élitiste, la cavalière mesure sa chance : « C’est un monde un peu fermé, peu accessible, un peu comme la Formule 1. Ce n’est pas comme le foot ou le tennis où tous ceux qui aiment le sport peuvent facilement suivre un match. Comprendre l’équitation c’est compliqué mais c’est un magnifique sport et si on a envie de s’y intéresser, les chevaux c’est passionnant.. »
Et la solitude dans tout ça ? Ça n’est même pas un sujet. Elle est à la foi accompagnée par son équipe mais très souvent par son père, Olivier, qui après le ballon rond – « il continue de suivre à fond le TFC » – s’est découvert une autre passion avec l’équitation. « Il ne monte pas mais il adore ça et vient me voir très souvent ». Il suffit de voir comment ce dernier a vécu la victoire de sa fille au Grand Palais pour s’en rendre compte.
Dans un coin de sa tête, la brillante cavalière, a aussi coché l’année 2028. Pouvoir représenter la France aux Jeux Olympiques de Los Angeles serait un rêve. « C’est très loin mais en même temps, c’est quelque chose qu’il faut envisager et c’est maintenant qu’il faut le préparer. On peut avoir un bon cheval de 7-8 ans qui pourrait concourir pour 2028 mais c’est dès maintenant qu’il faut le mettre en condition, pose-t-elle avant de tempérer un peu. Pour être honnête, j’essaie de ne pas trop y penser. J’ai déjà les championnats d’Europe cette année (15 juillet en Espagne à la Corogne), les championnats du monde l’année prochaine. Si je fixe trop les JO je vais en oublier mes principaux objectifs et si jamais je ne me qualifie pas, la déception sera trop grande. » Évitons d’y penser donc, mais l’avenir de l’équitation française s’écrit peut-être déjà sur les coteaux du Girou.