Ancien professeur de cuisine devenu sociologue, Jean-Pierre Poulain explore l’alimentation comme miroir des sociétés. Son parcours singulier, entre Toulouse et Kuala Lumpur, éclaire les enjeux culturels et scientifiques de nos manières de manger.
À la question : « Qui êtes-vous Jean-Pierre Poulain ? », le sociologue, figure majeure de la réflexion sur l’alimentation, répond sans hésiter et avec une pointe d’humour : « Je suis un ancien professeur de cuisine de l’école Toulouse qui a mal tourné ».
Tout juste rentré de Malaisie, Jean-Pierre Poulain nous accueille devant l’ISTHIA (Institut supérieur de l’hôtellerie, du tourisme et de l’alimentation), sur le campus de l’Université Jean-Jaurès, d’une poignée de main franche et d’un sourire avenant. Il nous entraîne aussitôt dans son bureau où, par pile, des mémoires (ceux de ses élèves) et des livres (les siens) s’amoncellent sur une table. Professeur émérite à l’université Toulouse-II, Jean-Pierre Poulain dirige des thèses et poursuit activement ses recherches.
Parallèlement, l’enseignant-chercheur passe la moitié de l’année à Kuala-Lumpur, à la Taylor’s University, où il est titulaire de la chaire « Food Studies ». Cette double affiliation date de 2012. « Nous avons créé là-bas une filière universitaire dédiée à l’enseignement hôtelier, du tourisme et de l’alimentation, allant jusqu’au doctorat, sur le modèle de ce que nous avions développé à l’Université Jean-Jaurès en France », explique-t-il.
Un père charcutier-traiteur
Jean-Pierre Poulain, figure majeure de la sociologie de l’alimentation, a un parcours singulier puisqu’avant de penser la cuisine, il l’a pratiquée. Né le 1er janvier 1956 à Tulle, en Corrèze, le sociologue grandit dans une famille de métiers de bouche. « Mon père était charcutier-traiteur, mon oncle pâtissier et ma tante restauratrice. » Lorsque j’étais gamin, ça allait de soi, pour mes parents, que j’allais être le successeur », raconte-t-il.
Par respect pour l’histoire familiale, Jean-Pierre Poulain choisit de rester d’une certaine façon dans le bercail mais en optant pour l’enseignement. Il se retrouve ainsi au lycée hôtelier de Toulouse où il sera professeur de cuisine et professeur chef de travaux. En parallèle, il poursuit secrètement des études de psychologie, sociologie et philosophie. Il rencontre « un peu par hasard » Edgar Morin, à la fac de Jussieu, qui dirigera sa thèse « Anthroposociologie de la cuisine et des manières de table ».
Dès l’âge de 15 ans, et grâce à un cousin qui étudiait la philosophie et l’encouragea, Jean-Pierre Poulain avait une idée très claire de ce qu’il voulait faire : ce qu’il fait encore aujourd’hui, avec la même conviction : s’intéresser aux populations d’hier et d’aujourd’hui par le prisme de l’alimentation. Le fait d’être passé par les fourneaux lui donne un recul précieux et une compréhension directe du sujet. « L’alimentation, c’est un lieu de lecture formidable pour comprendre les transformations des sociétés, leur diversité et un certain nombre de crises », dont celle de l’obésité.
À Kuala Lumpur, Jean-Pierre Poulain dispense son enseignement dans la langue de Shakespeare, sans difficultés, « même si ma fille me dit que je parle mal l’anglais », s’amuse-t-il. Et de préciser : « J’enseigne la méthodologie de recherche et les études alimentaires en tenant compte des contextes sociaux variés. » Il adapte ses méthodes à 37 nationalités différentes, venues de toute l’Asie du Sud-Est. Et tous les ans, ce sont près de 350 étudiants qui sortent diplômés grâce à ce partenariat. Cette collaboration contribue aussi à faire rayonner la culture française par le prisme de la gastronomie. Après l’Asie, l’ISTHIA prévoit d’ouvrir en septembre prochain une antenne dans le sud de l’Inde, au Kerala, à la Mahatma Gandhi University.
Un bon cuistot amateur de bonne chère
Aujourd’hui, à 69 ans, la plus grande fierté professionnelle de Jean-Pierre Poulain reste la publication de son ouvrage « Sociologie de l’alimentation », en 2002 et traduit en six langues. Ce livre fait aujourd’hui référence dans le champ des sciences sociales.
En plus d’être un fin analyste, Jean-Pierre Poulain reste un bon vivant, friand de bonne chère. Il a toujours un joli tour de main en cuisine où son plat favori reste le lièvre en « cabessal ». « C’est un civet avec des boulettes, un plat typique du Limousin », détaille-t-il. Le sociologue aime cuisiner, avec une passion toute particulière pour les terrines. « Ce n’est pas une corvée même si je n’ai pas le talent pour être un très grand chef, c’est clair. Mais je sais comprendre ce qu’ils font, apprécier leur travail et en parler ». Et le transmettre avec un enthousiasme contagieux.