Quand les sabots tracent des ponts entre les continents. Les chevaux sont peut-être aujourd’hui synonymes de paysages américains ou de traditions équestres européennes, mais leur histoire est bien plus ancienne et complexe. Une vaste étude menée par le Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT-CNRS/Université de Toulouse) en collaboration avec 57 scientifiques du monde entier, dont 18 chercheurs autochtones, lève le voile sur plusieurs vagues de migration équine entre l’Amérique du Nord et l’Eurasie, notamment durant la dernière période glaciaire, entre 50.000 et 19.000 ans avant notre ère.
Chevaux sauvages galopant en liberté au Black Hills Wild Horse Sanctuary, en Caroline du Sud, aux Etats-Unis. © Black Hills Wild Horse Sanctuary
Des migrations révélées par la génomique
En séquençant l’ADN de 68 chevaux fossiles vieux de 126.000 à 11.700 ans, l’équipe de scientifiques a mis au jour trois grandes lignées équines en Amérique du Nord, distinctes géographiquement : l’une au sud des calottes glaciaires, l’autre dans la région Alaska-Yukon, et une troisième à l’extrême ouest de l’Alaska. Ces données prouvent que « les frontières contemporaines entre les pays et les dénominations paléontologiques […] ne reflètent pas fidèlement ce que le cheval faisait vraiment« , selon Yvette Running Horse Collin, scientifique Lakota.
Les résultats révèlent alors que les chevaux ont traversé le pont terrestre de Béring à plusieurs reprises dans les deux sens, laissant des traces génétiques allant jusqu’en Anatolie et la péninsule Ibérique. Une dynamique migratoire naturelle, essentielle à la survie des espèces, et qui s’est interrompue avec la montée des eaux et la fragmentation des habitats.
Le savoir autochtone au cœur de la recherche
L’un des aspects remarquables de cette étude est son alliance entre science occidentale et savoirs traditionnels autochtones.
Plusieurs systèmes scientifiques se sont unis dans le respect mutuel afin d’apporter des connaissances essentielles », souligne le chef Harold Left Heron, de la Nation Lakota.
Ce partenariat a permis de croiser analyses génétiques et perspectives culturelles millénaires sur les liens entre espèces et territoires.
Ainsi, les Dene’ (Athabascan) parlent du « sentier du Guérisseur », un corridor vital reliant les continents, où « les chevaux, comme tous les autres êtres vivants, circulaient librement ». Pour Wilson Justin, aîné Dene’, « chanter le chant de la vie garantit l’équilibre du monde ».
Jane (qwyxnmitkw) Stelkia portant un crâne de celui que les Okanagan appelent « Snklc’askaxa », le cheval. © Little Pine Productions
Un déclin lié au réchauffement
L’étude ne se limite pas aux traces anciennes. En s’intéressant aux chevaux ayant vécu au Yukon durant la période post-glaciaire, les chercheurs ont constaté une chute brutale de population.
Ces chevaux vivaient dans le corridor libre de glace à un moment où la steppe et la toundra laissaient place à un écosystème bien plus humide », explique Clément Bataille, de l’Université d’Ottawa.
Ce changement climatique a profondément bouleversé leur environnement.
Des leçons pour aujourd’hui
Au-delà de la paléontologie, les conclusions de l’étude résonnent avec les enjeux actuels de biodiversité. Pour Jane Stelkia, gardienne du savoir de la Nation sqilxʷ (Okanagan), « Snklc’askaxa [le cheval] nous offre un remède en nous rappelant la voie qu’empruntent toutes les formes de vie pour survivre et prospérer au fil des migrations et des changements ».
Les scientifiques et les gardiens du savoir insistent sur l’urgence de préserver des corridors écologiques permettant aux espèces de migrer librement. Le concept Lakota de « yutaŋ’kil » l’illustre : « la vie ne se déplace jamais seule, elle suit son écosystème – la vie doit se déplacer pour survivre », rappelle le chef Joe American Horse.
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