Une parenthèse inattendue au cœur du cinéma mondial. Alors que les projecteurs de Cannes illuminent déjà la Croisette depuis plusieurs jours, avec des stars comme Robert De Niro, Diane Kruger, Emma Stone ou encore Quentin Tarantino foulant le tapis rouge, 26 visages inconnus du grand public vont à leur tour vivre ce moment mythique. Tous âgés de 14 à 22 ans, ils sont les lauréats 2025 du concours « Moteur! », qui célèbre chaque année la créativité, la sincérité et l’engagement des jeunes à travers des courts-métrages personnels.
Parmi eux, Imane, 22 ans, étudiante en ingénierie à l’INSA Toulouse. Rien, ou presque, ne la prédestinait à briller dans le monde du 7e art. Et pourtant, elle s’apprête à gravir les marches les plus célèbres du cinéma mondial.
© DR
« Jamais je n’aurais imaginé ça »
Quelques mois plus tôt, une mauvaise grippe la cloue chez elle. Les journées s’allongent, les cours lui échappent. C’est dans cet entre-deux, un peu par hasard, qu’Imane découvre le concours « Moteur! », qui invite chaque participant à réaliser une vidéo d’1 minute 30 autour d’une personne qui l’inspire.
En une journée à peine, avec des moyens modestes mais une authenticité désarmante, elle réalise un court-métrage animé. Résultat : elle fait partie des 26 lauréats 2025.
J’étais vraiment très surprise. À aucun moment je ne pensais être sélectionnée », confie-t-elle à L’Opinion Indépendante.
© Le Projet Moteur (YouTube)
Une amitié fondatrice, un message universel
Dans son film, Imane rend hommage à sa « première amie » : Clémentine. Elle y raconte avec une douceur enfantine sa solitude d’enfant perçue comme « bizarre », et la bienveillance lumineuse de cette amie qui l’a acceptée telle qu’elle était, alors que les autres la rejetaient. L’esthétique naïve de son animation contraste avec la profondeur des thématiques abordées : le rejet, l’acceptation de soi, et la pureté du regard des enfants.
J’ai voulu me remettre dans la peau de l’enfant que j’étais, et représenter ça comme si une fillette de cinq ans l’avait dessiné », explique-t-elle.
Derrière cette candeur se cache une dénonciation lucide : le racisme ordinaire, expliqué par la mère d’Imane à sa fille comme une « maladie »
C’est après un séjour de six mois en Corée du Sud que j’ai réalisé à quel point je subissais le racisme en France », confie Imane.
Une jeunesse qui filme pour changer le monde
Le concours « Moteur! » valorise ces jeunes qui, caméra au poing, veulent faire bouger les lignes. Pour Imane, cette sélection représente une brèche dans un univers longtemps perçu comme inaccessible.
Petite, je ne voyais pas de personnages qui me ressemblaient dans les films ou les séries. Je me trouvais affreuse » dit-elle sans détour.
Depuis quelques mois maintenant, Imane pratique le mannequinat. © DR
Aujourd’hui, elle ne se rêve pas encore cinéaste. Mais elle veut agir, faire entendre sa voix.
Je n’ai pas encore les outils pour changer les choses. Mais dès que je les aurai, je les utiliserai. »
Une déclaration en parfaite résonance avec la thématique 2025 du concours : justice sociale et liberté d’expression. Cette année, la présidence d’honneur a été confiée à Euzhan Palcy, pionnière martiniquaise et première femme noire produite par un studio hollywoodien, oscarisée en 2022.
Euzhan Palcy fut la première réalisatrice noire à recevoir un César pour Rue Cases-Nègres en 1984, film puissant adapté du roman de Joseph Zobel, racontant l’histoire d’un jeune garçon en Martinique dans les années 1930. © Moteur!
Un rêve éveillé à Cannes
Dès aujourd’hui, Imane va rejoindre les autres lauréats à Cannes pour une semaine intense : expositions, rencontres, projections et la fameuse cérémonie des Claps d’or au Palais des Festivals. Leur passage sera ponctué de moments forts, à commencer par l’exposition de leurs portraits dès leur arrivée à la gare de la ville.
Mais c’est le 22 mai qu’aura lieu le point d’orgue de cette aventure : la montée des marches, en présence de personnalités comme Euzhan Palcy et Jean-Marc Mormeck, sextuple champion du monde de boxe. Une date hautement symbolique, choisie pour coïncider avec l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage en Martinique.
Je ne réalise toujours pas. J’ai même peur de ne pas comprendre ce qu’il m’arrive une fois là-bas », plaisante-t-elle, toujours incrédule.
Ce jour-là, Imane portera une tenue signée d’une styliste toulousaine, et gravira les marches du rêve, fièrement. Comme un clin d’œil à l’enfant d’hier, celle que l’on disait « étrange » et qui, aujourd’hui, inspire par sa sincérité.
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