« Le monde brise chacun, et beaucoup deviennent plus forts à l’endroit des fractures. » Cette citation d’Ernest Hemingway (A Farewell to Arms, 1929) résume à elle seule la résilience de l’avocate toulousaine Maryambanou Moussaei. Franco-Iranienne de 34 ans, elle exerce à Toulouse depuis août 2025. Si le port de la robe constitue déjà un accomplissement, le parcours de cette jeune juriste se distingue tout particulièrement. Marquée par la ténacité, la curiosité et l’abnégation, son histoire illustre à la fois la capacité à transformer les épreuves en moteur et la volonté profonde de tendre la main aux autres. En bref, un chemin où la quête de sens n’est jamais négociable.
De Téhéran à Paris
Née en Iran, Maryambanou Moussaei grandit dans un pays où la liberté d’expression est surveillée et où chaque geste peut avoir une portée politique. Son départ à 19 ans n’est pas qu’un projet d’expatriation choisi, mais découle aussi « d’une activité militante […] qui avait posé des difficultés pour la poursuite de [ses] études ». À Paris, elle découvre une société où l’accès au savoir, à la parole ou à la contestation ne relève plus du privilège mais du droit. Un choc culturel immense pour celle qui explique : « pour moi, les droits, ça n’a jamais été abstrait, en tant que femme et en tant qu’Iranienne ».
Je viens d’un pays où l’accès à l’éducation pouvait être remis en question, donc je ne comprenais pas comment mes camarades pouvaient râler de se lever à 7 heures pour aller en cours », sourit-elle.
Ses premières années en France sont celles d’une adaptation rapide, mais aussi d’une confrontation à l’exil intérieur. Elle se croyait libérée des réflexes inculqués par la République islamique, avant de comprendre « à quel point c’est intériorisé ». Étudiante en médiation culturelle, elle se forge dans les salles de théâtre, convaincue que l’art, en Iran comme ailleurs, peut être un langage d’opposition. Elle retrace avec lucidité le rôle politique de la scène dans son pays d’origine : « l’art servait à […] être dans l’opposition. Et je trouvais ça très fort ». Cette conviction la suivra longtemps : un métier n’a de sens pour elle que s’il permet d’agir sur le réel.
Trouver sa voie
Rien ne la destinait à devenir avocate. En Iran, elle suivait des études de physique, rêvait d’astrophysique et de NASA, avant d’être stoppée net par la réalité géopolitique :
L’Iran étant sous sanction nucléaire, la France ne pouvait m’octroyer de visa pour faire des études de physique », explique-t-elle.
Elle se tourne vers la Sorbonne, puis Sciences Po Paris, où elle découvre les affaires européennes. C’est pourtant un simple cours de droit qui bouleverse la trajectoire. « J’ai trouvé ça vraiment passionnant », se souvient-elle. Le droit devient progressivement une réponse intime à une question qui la taraude depuis son arrivée : comment relier son vécu d’exil, ses injustices subies, son regard sur les institutions et sa soif d’agir ?
Je pense que j’ai eu une quête de sens dès le début. »
Le moment fondateur survient en 2017, dans un lieu inattendu. Alors que la préfecture lui refuse le renouvellement de son titre de séjour, elle traverse la rue et entre au palais de justice. Là, elle assiste à la défense d’un sans-papiers.
C’est la première fois où je me suis dit : ‘ça a du sens’. »
Ce jour-là, elle comprend que sa colère, ses peurs et ses humiliations pourraient devenir un outil professionnel, un langage partagé avec ceux « qui n’ont pas eu cette chance-là ». Dès lors, elle sait qu’elle ne sera pas avocate pour les puissants, mais pour ceux que l’on regarde peu.
Je voulais que tout ce que j’avais vécu serve enfin à quelque chose. »
« Ça a changé mon rapport au monde »
La suite est faite d’efforts acharnés, de nuits blanches, d’essais et d’échecs. Elle passe le barreau trois fois, se « réveillait à quatre heures du matin » pour réviser avant de rejoindre le cabinet, convaincue qu’elle y parviendra, tôt ou tard :
Je me suis dit : ‘je deviendrai avocate’, peu n’importe où, quand ni sous quelle forme. »
Elle multiplie les stages : en juridiction, en pénal des affaires, au tribunal pour enfants, où elle vit une « révélation ». Elle y rencontre des magistrats qui la marquent durablement, dans une période où elle vacille face au mouvement Femme, Vie, Liberté qui secoue son pays. « C’était hyper épanouissant intellectuellement », confie-t-elle.
Mais elle découvre aussi la face sombre de la profession, entre violence ordinaire et culte de la performance. Elle le dit sans détour :
C’est un milieu très compliqué où […] la maltraitance est banalisée. »
Longtemps, elle lutte contre un manque de confiance en elle : « le droit, c’est aussi une autre langue […] et ce n’est vraiment pas ma langue maternelle ». Pourtant, ses qualités humaines font déjà la différence. Elle sait écouter, rassurer, se rendre présente.
Je pense que ce qui m’a tenue debout, c’étaient les clients », dit-elle.
Toutefois, même les mats les plus solides peuvent finir par plier. Après près de 15 années à enchaîner études, révisions, journées interminables, dossiers complexes et pression constante, elle s’effondre. Dépression, burn-out, surmenage : aucun de ces mots ne parvient réellement à saisir l’ampleur de l’épuisement émotionnel et physique dans lequel elle sombre. Il lui faudra du temps pour reconnaître cette maladie silencieuse qui l’atrophie et admettre qu’elle ne peut plus avancer ainsi.
« Ça a changé mon rapport au monde », raconte-t-elle, comprenant désormais qu’elle doit exercer autrement. Ou ne pas exercer du tout. C’est finalement dans cette fragilité qu’elle trouve l’élan de quitter la capitale pour rejoindre la Ville rose.
Vers Toulouse, et vers elle-même : redéfinir sa manière d’être avocate
Après des débuts dans un environnement saturé de pression et d’injonctions, Maryambanou Moussaei prend le tournant décisif de l’installation à Toulouse. Son histoire l’a façonnée : la rigueur iranienne, la sensibilité politique forgée au théâtre, la découverte des libertés françaises, la violence des préfectures, la joie immense de la réussite au barreau. Autant d’épreuves qui ont nourri un rapport très profond à son métier. Elle revendique aujourd’hui un exercice lucide, humaniste, ancré dans l’expérience en aidant les prévenus, les mineurs, les femmes, les invisibles, ceux que la société juge vite.
Sa trajectoire l’a amenée à s’émanciper des modèles toxiques, à assumer son identité, à transformer les luttes personnelles en forces professionnelles.
Je pense que j’ai eu une quête de sens dès le début », résume-t-elle.
Petit à petit, elle reprend goût à l’avocature. Une fois par mois, elle participe à des permanences gratuites à l’institut médico-légal de Toulouse, et au café le Pompon sur la Daronne, pour les femmes victimes.
Là, son métier retrouve toute sa dimension humaine : celle qui l’a poussée à franchir les portes du palais de justice, un jour de détresse.
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