Depuis l’attaque au couteau dans un lycée de Nantes ce jeudi 24 avril, le profil psychologique de l’assaillant présumé Justin P. interroge. Considéré comme dépressif, ce lycéen de 15 ans a été hospitalisé au regard de son état psychiatrique. La dépression, l’anxiété et les troubles du comportement sont exaspérés depuis la crise Covid selon le docteur toulousain Nicolas de Schryver, spécialiste de la détresse chez les jeunes.
Depuis l’attaque au couteau d’hier dans un lycée de Nantes qui a entraîné la mort d’une lycéenne et blessés trois autres élèves, les réactions se multiplient. L’assaillant présumé, Justin P., 15 ans a été interné hier soir. Son état de santé ne permet pas la tenue d’une garde à vue.
Son profil psychologique suscite beaucoup d’interrogations. Scolarisé dans l’établissement, il était considéré comme dépressif avec des tendances suicidaires. Dans un mail envoyé à tous ces camarades avant son passage à l’acte, ses propos incohérents et radicalisés interpellent.
L’agresseur présumé parle d’une vision apocalyptique du monde, dénonçant un « écocide globalisé » et appelant à une « révolte biologique » contre ce qu’il qualifie de « machine à décomposer l’humain« .
Ce nouveau drame au cœur d’un établissement scolaire est pour, certains spécialistes, une nouvelle preuve que nos jeunes vont mal.
Le docteur Nicolas de Schryver a été en charge de la cellule d’urgence médico-psychologique du CHU de Toulouse mise en place pendant le Covid à destination des jeunes. Ce docteur psychanalyste toulousain accompagne au quotidien de jeunes adultes qui traversent des difficultés psychiques et émotionnelles.
Ce qui est arrivé à Nantes est très choquant. Dans ce cas, on voit bien que l’adolescent s’est construit dans sa tête une autre société, il s’est construit un imaginaire. Si l’adolescent est en souffrance, cet imaginaire peut entraîner des passages à l’acte contre la société, ou contre eux-mêmes.
Docteur Nicolas De Schryver, psychanalyste
Depuis le Covid, le mal-être des jeunes a explosé. À l’échelle mondiale, un jeune âgé de 10 à 19 ans sur sept souffrirait d’un trouble mental selon l’OMS. Le baromètre mental de nos ados n’est pas très bon.
« Depuis le Covid, les troubles anxieux sont plus importants chez nos jeunes. Certains n’arrivent plus à se positionner dans la société, surtout ceux qui ont plus de fragilités existentielles et qui n’arrivent plus à affronter la réalité« , analyse le spécialiste.
Ça a toujours existé mais le phénomène est exaspéré depuis 5 ans. Entre la guerre en Ukraine, la crise climatique, la guerre à Gaza et l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, les jeunes ont de plus en plus de mal à avoir des perspectives, certains en difficulté n’y arrivent plus du tout. Pour faire face à leurs angoisses, ils se construisent une autre réalité. Du coup on va assister à une multiplication des addictions, cela peut être la consommation de drogue, un usage abusif des jeux vidéos ou des réseaux sociaux.
Docteur Nicolas De Schryver, psychanalyste
Des ados plus angoissés qui ont parfois tendance à se réfugier sur les réseaux sociaux. « Quand ils sont angoissés, certains jeunes se réfugient sur TikTok ou les autres réseaux sociaux. D’autres personnes, parfois mal intentionnées, vont leur proposer une autre réalité, une réalité qui leur convient mieux. On va avoir des influenceurs « manipulateurs » qui vont orienter leurs pensées », précise le praticien.
« Si l’adolescent est confronté à des difficultés émotionnelles, familiales ou des problèmes psychiques, cette anxiété existentielle peut parfois, dans des cas extrêmes et très rares, prendre d’énormes proportions et aboutir à une destruction de la personnalité, une perte du discernement voire à des passages à l’acte. Un passage à l’acte pour soulager sa douleur qui reste fort heureusement très exceptionnel », conclut le docteur Nicolas De Schryver.
Pour ce psychanalyste toulousain, l’adolescence est par définition une période extrêmement fragile caractérisée par l’opposition à l’autorité. Mais certains sont dans de telles problématiques existentielles, qu’ils n’ont plus de repères.
Le docteur Anne Sauvagnac, pédopsychiatre à Toulouse, confirme cette hausse des troubles anxieux chez les jeunes. « Avant je recevais dans mon cabinet un à deux adolescents par mois pour des questions de phobies scolaires. Aujourd’hui c’est deux à trois patients par jour! Le phénomène a explosé. C’est souvent multifactoriel mais les angoisses sur l’avenir sont très fortes. Les adolescents sont de plus en plus soumis à la pression sociale et les réseaux sociaux n’aident pas. Il y a une amplification des difficultés à l’école, la puissance du mal-être est aussi décuplée », explique le Docteur Anne Sauvagnac.
Les deux médecins préconisent une plus forte prévention dans la société sur les usages des réseaux sociaux.
Certains jeunes se servent très bien des réseaux sociaux, mais d’autres sont dans une addiction, c’est là que c’est problématique. Pour pouvoir se défaire d’un réseau social, il faut avoir du discernement. Il faut plus de mesures de prevention, il faudrait apporter de la connaissance sur l’usage d’un réseau social et ce dès le plus jeune âge.
Docteur Nicolas De Schryver, psychanalyste
Face à cette hausse de la souffrance de nos ados, les professionnels de santé sont nombreux à tirer la sonnette d’alarme. Ils alertent sur le manque de moyens et d’accompagnement en matière de santé mentale de nos jeunes. Un défi pour les années à venir.
Moi je suis saturée. Je n’ai quasiment plus de créneau pour accueillir de nouveaux patients. Or nous recevons de plus en plus de demande de soutien d’adolescents depuis le Covid mais mes confrères aussi n’ont plus de places. Au regard de l’augmentation de la population toulousaine, nous ne sommes plus assez nombreux en pédopsychiatrie à Toulouse. De plus, nous ne pouvons plus hospitaliser aussi facilement qu’avant tant la demande est forte et les places manquent dans les établissements de santé spécialisés.
Docteur Anne Sauvagnac, pédopsychiatre
Et cette spécialiste précise : « Il y a de plus en plus de diagnostics de troubles chez l’enfant ou chez l’adolescent mais pas assez de suivi. Les structures d’accompagnement ne suivent plus. Les hôpitaux psychiatriques manquent de places et les centres médico-psychologiques (CMP) sont saturés dans la région toulousaine et en France. Les CMP sont même attaqués dans leur fonctionnement. La pédopsychiatrie est bel et bien en danger, nos enfants avec ».
Concernant l’attaque de Nantes, le docteur Anne Sauvagnac reste très prudente et rassurante.
« Les agressions d’adolescents en souffrance sont heureusement rarissimes. Il faut faire très attention aux amalgames et aux raccourcis. Il y a sans doute d’autres éléments, psychiatriques ou non, à prendre en compte dans le drame de Nantes que nous ne connaissons pas. C’est à l’enquête de le déterminer. Chez les adolescents atteints de troubles anxieux, quand il y a des passages à l’acte, ils sont essentiellement autoagressifs (tentative de suicide ou scarification) », précise la médecin.
Quant aux parents, ces médecins préconisent d’être attentifs et vigilants face à leurs ados.
Quand on est parent, ce n’est jamais simple de voir la souffrance de son enfant. Mais il y a des signes qui doivent alerter. Si l’adolescent passe plus de 10h par jour sur des écrans, c’est une alerte. Si il perd le sommeil et s’isole de ses amis ou arrête des activités culturelles et sportives, il faut aussi s’en inquiéter. Ce sont des signaux à prendre en considération. Il faut alors essayer de communiquer dans la cellule familiale, provoquer cette communication, chercher à comprendre ce qui se passe et ne pas hésiter à consulter un médecin évidemment.
Docteur Nicolas De Schryver, psychanalyste
Selon une étude de Santé Publique France menée sur plus de 9 000 élèves français en 2023, la santé mentale des adolescents se serait bel et bien dégradée depuis 2018.
Aujourd’hui un quart des élèves de 11 à18 ans interrogés avouent avoir éprouvé un sentiment de solitude au cours des 12 derniers mois. Plus de la moitié de ces jeunes interrogés (51 % des collégiens et 58 % des lycéens) présentent des plaintes psychologiques ou somatiques récurrentes. Et 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression.
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