L’Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires de l’Université de Toulouse (Haute-Garonne) coordonne un projet national pour lutter contre des virus chez les femmes enceintes. Ces virus véhiculés par des insectes comme le Zika peuvent avoir des conséquences délétères pour les fœtus.
Les flavivirus sont des virus émergents transmis par les insectes. Certains comme l’un des plus connus du grand public, le virus Zika, qui provoque des microcéphalies (malformation congénitale rare caractérisée par une taille de la tête nettement inférieure à la moyenne ), peuvent se transmettre de la mère à l’enfant pendant la grossesse. Cécile Malnou, professeure à l’Université de Toulouse au sein de l’Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires, coordonne un projet national pour lutter contre ces virus chez les femmes enceintes. Projet qui vient d’obtenir un financement de l’État à hauteur d’un million d’euros. Elle a accepté de répondre à nos questions.
France 3 : En quoi consiste ce projet ?
Cécile Malnou : C’est un projet national qui est financé dans le contexte de France 2030. Il est plus spécifiquement financé par la ANRS Maladie Infectieuse Émergente. En fait, mon équipe s’intéresse depuis longtemps aux transmissions verticales, c’est-à-dire aux infections virales qui ont lieu durant la grossesse, et qui sont transmises de la mère à l’enfant.
On a acquis beaucoup de données sur cette transmission par ce virus grâce à un virus qui n’est pas émergent mais sur lequel on a beaucoup travaillé : le cytomégalovirus. On a identifié des acteurs moléculaires de cette transmission.
En 2024, il y a eu un appel d’offres pour examiner différents aspects et différentes menaces des émergences virales. Dans ce contexte, mon équipe a décidé de s’intéresser aux maladies infectieuses émergentes, et notamment virales, qui peuvent être transmises de la mère à l’enfant durant la grossesse. Des maladies qui ont des conséquences désastreuses pour le développement des enfants.
France 3 : On pense au virus Zika dans ce contexte…
Cécile Malnou : C’est l’un des plus connus, celui dont on a entendu parler en 2015-2016. Il a été responsable de beaucoup de microcéphalies, notamment en Amérique du Sud et Amérique latine. La propagation de ce virus, durant cette grande épidémie de 2015-2016, était relativement circonscrite à ces régions. Mais il y a une très forte menace de réémergence de ce virus, du fait que désormais, le vecteur de ce virus, qui est le moustique tigre, est établi dans nos régions. Donc, on n’est pas du tout à l’abri d’une bouffée d’émergence du Zika qui circulerait dans nos régions.
Et ce n’est pas le seul virus qui menace d’apparaître dans la population humaine. Il y en a d’autres qui sont d’une famille de flavivirus, c’est-à-dire des virus transmis par des insectes. Le virus Usutu, par exemple, est à menace d’émergence dans la population humaine.
France 3 : Il peut être transmis de la mère au fœtus ?
Cécile Malnou : Oui, on l’a démontré il y a quelques années. En tout cas, on a montré qu’il était capable de se répliquer dans des placentas, et dans un modèle souris, on a aussi montré qu’il était capable d’être transmis. On ne connaît pas les conséquences chez l’homme, puisqu’il n’y a pas encore eu de cas décrits. Il y a eu quelques cas d’émergence de transmission chez l’homme, avec des aspects neurologiques, mais ce ne sont que quelques dizaines de cas. En 2018, 26 cas ont été répertoriés en Europe. C’est la population adulte qui était plutôt concernée. On n’a pas recensé de cas de transmission à des femmes enceintes. Donc, il n’y a eu aucune étude épidémiologique encore réalisée sur ce virus Usutu.
Mais nous avons montré, dans des travaux in vitro, qu’il pourrait concerner aussi les femmes enceintes. Et il y a d’autres virus émergents, par exemple le virus d’Oropouch, dont on a parlé un peu en début d’année, qui est un virus émergent qui se manifeste aussi en Amérique centrale, en Amérique du Sud, avec des cas chez les femmes enceintes de transmission materno-fétale.
Donc, en fait, les virus émergents ou qui menacent d’émerger sont vraiment une menace pour la population en général, particulièrement pour les femmes enceintes, avec des possibilités d’être transmises au fœtus et d’avoir des conséquences.
France 3 : Sur quoi travaillez-vous précisément ?
Cécile Malnou : On examine les différents paramètres qui contrôlent cette transmission et la réplication du virus dans le placenta, pour essayer de comprendre au niveau vraiment fondamental ce qui pourrait faciliter cette transmission. Ou quels sont les facteurs chez la femme enceinte qui pourraient limiter cette transmission. On essaie de comprendre ces facteurs pour proposer de potentielles solutions et limiter ou, en tout cas, pronostiquer cette transmission.
France 3 : C’est un contexte favorisé par le réchauffement climatique ?
Cécile Malnou : Oui, bien sûr, le réchauffement climatique, c’est un élément clé dans l’émergence de ces maladies et le fait qu’elles se répandent de plus en plus. Les virus, que l’on étudie dans cette étude, sont véhiculés par les moustiques et en particulier par le moustique-tigre. Il y a quelques années, on n’était pas vraiment concernés.
Par exemple, le cas de la Dengue, c’était uniquement des cas rapportés de pays ou de régions dans lesquels le virus circulait. Désormais, comme le moustique-tigre est implanté sur nos territoires et s’étend… On a des prévisions qui montrent qu’il va continuer d’étendre dans son territoire dans les contrées au climat modéré, qui n’est plus très modéré maintenant. La possibilité de circulation des virus, et de ces virus émergents ou à menace d’émergence, augmente.
France 3 : Y a-t-il beaucoup d’études sur les femmes enceintes ?
Cécile Malnou : Non, l’étude de toutes les maladies, et notamment les infections virales qui concernent les femmes enceintes, a été négligée pendant de très nombreuses années. La recherche médicale a été faite sur les hommes, par des hommes, pour les hommes. Il y a tellement d’exemples qui pourraient illustrer ça… Il y a vraiment un déficit de recherche sur le sujet des femmes et particulièrement des femmes enceintes. Donc c’est vraiment une population à laquelle il faut s’attacher, sur laquelle il faut faire porter les efforts. La santé des femmes commence à devenir une préoccupation, notamment nationale. J’en reviens à l’autre virus que j’étudie, le cytomégalovirus, qui touche 1 % des naissances en France. Il n’est pas à menace d’émergence, il est là depuis toujours et il fait l’objet de très peu d’études.
Or c’est la première cause de déficit neurologique non génétique. Il est responsable de surdité et d’atteintes neurologiques variées, ça peut être aussi des retards mentaux, des retards de développement, et dans le pire des cas, des grossesses qui s’arrêtent. En ce moment, on en parle un peu plus, parce qu’au niveau national, il y a une association qui est basée à Toulouse, à Cugnaux « Chanter, marcher, vivre » qui est très active sur la recherche sur le cytomégalovirus, et en particulier le dépistage.
Il n’est même pas encore proposé de manière obligatoire dans le parcours de soins des femmes enceintes, alors qu’il touche un grand nombre de grossesses. Il y a donc ce projet de pouvoir le proposer systématiquement aux femmes et de mieux les informer. Mais notre projet actuel porte sur les virus émergents ou à menace d’émergence. Il est mené grâce à la collaboration de cinq équipes de Toulouse et Montpellier. Il va démarrer à l’automne et s’étendre sur trois années.
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