1531 lettres échangées entre deux amoureux en 14-18 : voilà le point de départ du livre « Marguerite et Léon » de Pierre Mathiote. L’écrivain et réalisateur toulousain sera à la librairie Privat ce jeudi, pour présenter cet ouvrage mêlant histoire d’amour et histoire de guerre.
La Dépêche. Comment avez-vous découvert cette correspondance entre Marguerite et Léon, datant de la guerre 14-18 ?
Pierre Mathiote. C’est arrivé un peu par hasard. Début 2020, je travaillais sur un long-métrage avec un historien. Il m’a parlé d’un ami à lui, professeur d’histoire en Haute-Garonne, qui possédait une malle remplie de lettres de 14-18. Il l’avait achetée 12 ans auparavant, dans un vide-grenier à Paris, pour 30 euros. Mais il ne s’y était jamais réellement intéressé. On est allés le voir, je lui ai demandé de me scanner environ 400 lettres pour voir si ça valait le coup. Et j’ai découvert une histoire d’amour incroyable entre Léon, un poilu, et Marguerite, restée à l’arrière. J’ai pleuré en lisant certaines lettres. Quand le Covid a frappé, j’ai demandé de l’aide à mon réseau pour la retranscription. J’ai eu 80 volontaires, en trois mois, on avait retranscrit les 1531 lettres. Dans cette malle, il y avait aussi une mèche de cheveux de Marguerite, une bague faite dans un éclat d’obus allemand, plein d’objets précieux. J’ai alors décidé de raconter cette histoire, et j’y ai consacré les quatre années suivantes.

Votre premier projet n’était pas un livre mais une série. Pourquoi ?
À partir des lettres, j’ai d’abord écrit une fiction en 14 épisodes de 52 minutes. Mais je n’ai pas trouvé de producteur. Mes amis m’ont conseillé d’en faire un roman. J’ai essayé. J’avais déjà 750 pages de dialogues, mais je ne prenais pas de plaisir à le transformer en livre. Et puis, un jour, dans une librairie, je suis tombé sur des œuvres de Victor Hugo : Les Contemplations, Les Châtiments… J’ai eu un déclic : je me suis dit qu’il fallait raconter l’histoire sous forme de chroniques en vers. J’ai mélangé mes textes avec ceux de Léon, qui écrivait lui-même des poèmes. J’ai passé un an à écrire ce livre de 230 pages.
C’est une histoire d’amour, mais aussi une histoire de guerre.
Outre leur relation qui est folle, c’est aussi une fresque historique. Cette guerre fait partie de notre histoire à tous. Les Journaux des marches et opérations correspondent à une tradition militaire sommant chaque régiment de consigner quotidiennement les batailles, les pertes, les décorations, etc. Ces JMO m’ont permis de recouper les événements décrits par Léon dans les lettres, et de savoir exactement où il était chaque jour.
Vous évoquez aussi une grande liberté dans leurs échanges amoureux…
Leur relation est celle d’un jeune couple de 21 ans qui vient de se rencontrer en 1914, avec la fougue qu’on peut imaginer, mais brutalement séparé par la guerre. Ils passaient leur permission au lit, en mentant à leurs parents. Les lettres décrivent avec précision leur vie affective et intime. Léon allait jusqu’à dessiner des scènes très érotiques. C’est assez fabuleux pour la période, puisqu’en général, la femme était dévouée à la procréation, et non à ce genre de plaisir. Cette correspondance offre également un éclairage fascinant sur la condition féminine de l’époque.
Comment avez-vous réussi à entrer en contact avec les descendants de Marguerite et Léon ?
J’ai été aidé par des généalogistes professionnels et par des articles dans des bulletins municipaux. Dans des centaines de lettres, Marguerite et Léon évoquent la naissance prochaine de leur fille, qu’ils appelaient déjà Huguette. En allant sur la tombe de Marguerite, j’ai vu celle d’Huguette. J’ai alors appris qu’elle avait été mariée avec René B. Un an plus tard, à la suite de mes nombreuses démarches, j’ai reçu un appel d’une certaine Annick B., qui m’a dit « il paraît que vous me cherchez ». Elle m’a raconté qu’Huguette et René, ses parents, avaient eu trois enfants. Je suis allée lui rendre visite en région parisienne, on est tombés dans les bras l’un de l’autre. Pour moi, c’était le chaînon manquant. Elle m’a dit ne pas du tout avoir connaissance de l’histoire de Marguerite et Léon, et ne jamais avoir connu sa grand-mère. Malheureusement, Annick est décédée il y a quelques mois d’un problème cardiaque, à 67 ans.