Un rideau baissé, ou simplement, parfois, une pancarte « à louer » avec le numéro d’une agence immobilière. D’autres fois, rien. Et un local vide pendant plusieurs années. Presque quatre ans pour l’ancien Longchamp de la rue des Arts. C’est le sort que connaît peu à peu la ville de Toulouse, au fur et à mesure que les prix des locations augmentent. Que ce soit pour les particuliers comme pour les entrepreneurs. Si les augmentations de loyers pour des baux commerciaux déjà engagés sont limitées, les prix de départ sur un nouveau contrat peuvent, quant à eux, atteindre en toute légalité des sommets. Sommets que la mairie de Toulouse tente par ses propres moyens – pas vraiment officiels – de limiter…
« Les propriétaires ont parfois les yeux plus gros que le ventre »
Rue des Arts, justement, l’ancienne boutique de la marque de luxe Longchamp, partie dans la rue de la Pomme il y a plus de trois ans, est toujours vide. Le local aurait fait l’objet d’un héritage en division à une famille de frères et sœurs, comme l’indiquait récemment Actu Toulouse. Et ces derniers auraient réclamé une augmentation de loyer trop élevé pour Longchamp. Un phénomène bien connu des commerçants de la rue des Lois, pour bon nombre, en procédure contre leur propriétaire, et pour d’autres, tout simplement partis du quartier. Laissant ainsi libre au cours au champ des spéculations…
Sur le fameux local de la rue des Arts, les bruits courraient qu’un loyer d’environ 10 000 € avait été proposé aux éventuels repreneurs. Chemin rebroussé. Depuis, c’est la vente interactive (sorte de vente aux enchères, ndlr.) que les propriétaires ont privilégiée. Pour ce commerce, comptez un prix de départ d’1,2 millions d’euros. Là encore, trop haut ? « Quand un local est vide pendant autant de temps, c’est que le prix ne correspond pas au marché », nous avait discrètement répondu le président des commerçants de la rue Croix-Baragnon et ses alentours, Laurent Lopez.
« Les propriétaires ont parfois les yeux plus gros que le ventre », reconnaît la mairie de Toulouse, contacté par Actu.fr. Résultat ? Des locaux demeurent parfois vacants (un peu trop) longtemps…
Les locaux vacants dans le viseur de la mairie
Difficile d’obtenir leur nombre exact en l’absence d’observatoire regardant de près ces données. Sur le site d’Abault Immobilier, la plus grosse agence de vente et location de locaux commerciaux, on compte néanmoins 162 biens proposés à travers la Ville rose.
Pas de quoi bondir pour autant. Il y a quelques mois de cela, sur Actu Toulouse, Olivier Arsac, l’élu en charge du commerce à Toulouse, rappelait que le taux d’inoccupation des locaux toulousains était même inférieur à la moyenne nationale. D’après la dernière étude publiée par la fédération du commerce spécialisé Procos, en 2023, le taux de vacance commerciale de Toulouse Centre s’élevait à 7,3 % soit un peu moins que les villes de taille comparable (8 à 9 %), et moins que la moyenne nationale chiffrée à 9,67 %.
Mais il n’en reste pas moins que « la collectivité, plus qu’avant, regarde de très près ces situations », indique Olivier Arsac. Pour le cas de la rue des Arts, notamment, il insiste : « Il est évident que ce n’est pas souhaitable qu’un local reste vide trop longtemps. Ça atteint l’attractivité de cette rue et du petit quartier autour. La collectivité ne peut pas s’en désintéresser. » Elle fait mieux. Elle entre en négociation.

Les autorisations de la Ville comme jeu de pouvoir
Pour le cas de la rue des Arts, la Mairie de Toulouse a demandé à approcher les propriétaires. Objectif ? Faire baisser les enchères. Comme elle a pu le faire par le passé sur d’autre cas de figure.
Comme pour l’ancien Truffaut, rue de Metz, sur lequel on a aidé l’arrivée de Kave Home. On a discuté avec le bailleur. On lui a dit qu’il serait apprécié de la collectivité qu’un effort sur le prix soit fait, et que l’enseigne qui s’y installerait nous soit présentée.
En avait-il l’obligation ? Absolument pas. « C’est d’un commun accord, c’est le travail d’influence qu’on fait jouer et le travail partenarial », reconnaît l’adjoint au maire Olivier Arsac auprès d’Actu Toulouse.
« Légalement, on ne peut pas forcer le bailleur à baisser le prix ou choisir telle ou telle enseigne. En revanche, [pour Truffaut] ils savaient qu’ils doivent passer par nous pour les permis d’aménager et les permis d’enseigne. On a de l’influence. »
Une méthode, sur le papier, légale
Mais la mairie peut-elle vraiment en jouer de sa position sur les permis d’aménagement en toute impunité ? En quoi, cela marche ?
Officiellement, les permis d’aménager sont délivrés par la mairie sous forme d’arrêtés à la suite du dépôt par le propriétaire (ou son mandataire désigné). L’acceptation ou le refus de la demande est soumis à l’appréciation de la mairie. « Il n’existe pas de conditions permettant l’obtention automatique du permis, selon le Code de l’urbanisme », rappelle l’avocat en droit des affaires, Me Ahlsell de Toulza, à Actu Toulouse.
« Autrement dit, la mairie est en droit de refuser un permis d’aménager malgré le dépôt d’un dossier complet, mais elle doit justifier son refus, avec la possibilité pour le demandeur d’exercer un recours, d’abord amiable auprès de la mairie elle-même puis contentieux devant le Tribunal Administratif ».
L’un dans l’autre, la Ville de Toulouse dispose donc bien d’un moyen de pression pour, en son sens, faire baisser les loyers qui seraient trop élevés sur le marché.
Une négociation aujourd’hui, une obligation demain
Si la pratique « étonne » et « paraît abusive » aux yeux de l’Association des propriétaires de Toulouse, ce qui semble être réalisé sous le manteau ne l’est pas tant…
Que la mairie joue de son influence pour faire baisser les prix est vrai. Mais ce qui peut sembler insidieux aujourd’hui n’est que ce qui va devenir obligatoire demain.
La mairie de Toulouse travaille sur le futur PLUi-H depuis 2022. D’ici la fin d’année 2025, le nouveau plan local d’urbanisme toulousain sera approuvé et s’appliquera. Ce dernier comprend des règlements qui, pour chaque voie, identifient le type de commerce qui peut être mis en place. La zone du Truffaut, notamment, ainsi que celle de l’ancien Longchamp, rue de Metz et rue des Arts, fait partie du secteur que la mairie de Toulouse souhaite rendre « Premium », avec des marques haut de gamme.
« Les Métropoles décident du devenir commercial de leur ville »
C’est une tendance qu’il y a dans toutes les métropoles, qui décident désormais du devenir commercial de leur ville.
« Ça concerne les types de restaurant, les terrasses, les rez-de-chaussée destinés à du tertiaire comme des agences immobilières ou des banques, etc. Ce document n’impose pas un type de commerce, mais ça en interdit plutôt un autre pour éviter qu’un quartier ne pourrisse pas la surexploitation d’un type de commerce », résume Philippe Léon de la CCI, qui avait émis quelques réserves à ce sujet à l’époque.
La méthode avait particulièrement bien fonctionné dans la rue Bayard, lorsque, pour parfaire son nouveau visage, la mairie de Toulouse avait acquis de nombreux locaux commerciaux dans le cadre du dispositif Commerce Avenir afin de les louer à plus petit prix aux commerçants de son choix. Une opération qu’elle renouvelle, depuis, dans le quartier Arnaud Bernard pour bannir les « repères des dealers ».
La méthode n’est certes pas la même via le PLUi-H, mais dans le fond, l’idée reste de prendre, un peu, la main. Avec un document officiel, ça passera mieux.