Il y a eu une annonce sur Leboncoin, avec la place de la Bourse vendue pour 1 € symbolique. Puis, il y a eu une sonde posée pour mesurer les décibels générés sur la place de la Trinité. Mais aussi, des banderoles suspendues aux fenêtres le long du canal de Brienne. « Ici, on crève de ne pas pouvoir dormir », inscrivaient-elles. Un mail adressé il y a quelques mois à Actu Toulouse pour une boulangerie trop bruyante la nuit, au Busca. Des appels à répétition à la police municipale dans le quartier des Chalets… Et des rumeurs sur le devenir du Stereo Café place de la Bourse, repris après une liquidation judiciaire, qui montent et agitent des riverains depuis longtemps excédés par le bruit. Dans le centre de Toulouse, la cohabitation entre les habitants et les commerçants n’est pas aisée. Et les tensions tendent à se cristalliser. Mais pour quelles raisons ? Avec quelles solutions ?
Les terrasses dans le collimateur des riverains
C’est peut-être le soleil qu’il faut blâmer en premier. Il jouerait, dans la situation toulousaine, le coupable idéal. Ou peut-être l’épidémie de Covid-19 ? Car si les conflits entre les riverains et les commerçants toulousains, notamment les bars, ne datent pas d’hier, ils ont pris de l’ampleur au sortir de la pandémie. Non pas à cause de la tempête qui prit le relais au calme, « mais plutôt à cause d’un changement de proportions », estime Patrick Affre, secrétaire de l’association Bien Vivre Toulouse Centre.
À la réouverture des établissements après le confinement, les terrasses ont été autorisées à doubler leur surface pour respecter les règles de sécurité sanitaires.
« Quand l’épidémie s’est tassée, ces extensions Covid sont restées et nous l’avions approuvé de façon momentanée, retrace Patrick Affre. Les terrasses ont augmenté, les nuisances sonores aussi. » Et ce qui devait être éphémère est devenu la norme.
Des m2 supplémentaires pour les terrasses
Depuis cette période, Christophe Alvès, l’adjoint au maire chargé de l’occupation commerciale de l’espace public, avouait, dans un précédent article d’Actu Toulouse, avoir reçu « beaucoup de demandes sur l’extension des terrasses ». Elles sont effectivement devenues, au fil des années, le gagne-pain des établissements toulousains. Un atout qui fait « une différence gigantesque sur le chiffre d’affaires », confessait par ailleurs le patron de l’ancien bar à cocktails L’Heure du Singe, qui avait à l’époque bénéficié de l’extension Covid.
Le nouvel objet est donc le fruit de convoitises. Si bien que depuis 2014, Toulouse a doublé le nombre de ses terrasses, passant de 450 à 1 000 aujourd’hui. Quant à leur surface, elles ont petit à petit augmenté de 4,71 % entre 2016 et 2020, soit environ 1 m² supplémentaire en moyenne pour les 850 établissements que compte la Ville rose. « Cela s’explique par l’augmentation du nombre d’établissements de bouche sur le territoire avec une augmentation de la population », indique Christophe Alvès.

« C’est le déséquilibre qui devient insupportable », dit un riverain
Si la Mairie défend l’application de son règlement des terrasses pour maîtriser l’extension des surfaces, pour Patrick Affre, de l’association Bien Vivre Toulouse Centre, elle privilégie son aspect économique plutôt que sa discrétion. « Sur le principe, tout le monde est d’accord avec les terrasses. Moi-même, je les pratique ! C’est le déséquilibre qui devient insupportable. »
Si vous mettez une terrasse éloignée, avec des gens qui chantent jusqu’à 22h30, ça ne va gêner personne. Mais si vous mettez 200 personnes sur une petite place étroite, bordée de petits immeubles, comme c’est le cas place de la Bourse, ça crée un entonnoir et un bruit de fond insupportable, bien que les gens ne fassent « que » parler. Selon les heures, c’est l’agitation. Le bruit traverse les murs et les fenêtres, les riverains ne peuvent plus dormir.
Pour preuve, l’association en est même venue à sortir la sonde localement pour pointer du doigt un taux décibels grimpant jusqu’à 95 – au lieu de 90, légalement -, place de la Trinité.

Un constat partagé du côté de l’allée de Brienne. Christiane, une habitante rencontrée par Actu Toulouse, avait porté plainte contre l’ancien établissement l’Écluse Saint-Pierre et avait obtenu gain de cause. Une procédure qu’elle a réitérée, avec ses voisins, contre le repreneur. Ils ont réclamé au Flashback des travaux d’insonorisation. À ce stade, selon Christiane, les travaux n’ont toujours pas été réalisés tandis que le Flashback n’a pas répondu à nos sollicitations.
« C’est devenu un enfer de travailler », confesse un ex-commerçant
L’affaire est épineuse. Dans ces histoires, les querelles tendent parfois à virer en « guéguerres » interminables entre voisins et commerces… Les uns font appel à la justice, les autres à la police municipale ou encore à la voie médiatique. « C’est devenu un enfer de travailler », assure à Actu Toulouse un ancien entrepreneur du centre-ville qui a tenu à rester anonyme. Emmené deux fois au tribunal, l’ex-gérant d’établissements toulousains en a littéralement baissé les bras.
En ville, la Mairie de Toulouse guette les moindres débordements.
On a une mairie très à cheval sur la tranquillité. On a une pression très forte. La Mairie applique la tolérance zéro sur les restaurateurs. Si une chaise dépasse de notre zone terrasse, on prend une convocation.
Quant aux animations, « le règlement des terrasses précise que les animations sur les terrasses sont interdites », rappelle Christophe Alvès.
Des horaires à changer ?
La mairie prend, par ailleurs, au sérieux la question des nuisances sonores. Elle dit avoir développé une coordination entre les services de la Ville et de Toulouse Métropole (Allô Toulouse, Police Municipale, service hygiène, Police administrative…) «pour recenser par établissements les divers manquements aux règlements ».
Sur cette base objective, la commission communale des débits de boissons se réunit et peut prononcer, après avis du maire, une restriction d’horaires d’ouverture des établissements contrevenants ou bien un simple courrier de sensibilisation.
Places de la Trinité, de la Bourse ou Saint-Georges, la Mairie avait même envisagé de fermer les terrasses plus tôt, à l’image de la place Saint-Sernin ou celle du Salin : minuit au lieu de 2 heures en semaine, et une heure plus tôt le week-end.
« Mais j’ai demandé que de nouvelles études soient déployées dans les semaines à venir », renchérit l’adjoint au maire. « Quelle que soit notre décision, elle sera prise dans la concertation la plus étroite avec tous les acteurs concernés, professionnels et habitants. »

Des plaintes jusqu’aux cuisines et fours à pain
Faire de la médiation. Toujours. Et pas seulement pour les bars. Car l’affaire ne s’arrête pas à eux. Récemment, deux collectifs se sont montés contre les « irrégularités » restaurant Le Jardin porté par les Chevaliers du Fiel, aux Chalets. Notamment sur une parcelle à l’arrière, autrefois abandonnée. « C’est une véritable caisse de résonance, on entend les conversations des gens dans nos appartements tous les soirs », avait témoigné un membre du collectif sur Actu Toulouse. Des travaux de mise aux normes auraient été effectués, d’après le patron du restaurant et humoriste Eric Carrière, qui souligne qu’une seule infraction leur aurait été reconnue : « des bruits de couteau et de fourchette ».
Difficile à encaisser pour des restaurateurs. Idem pour les boulangers du Busca visés en 2024 par un syndicat de copropriétaires dont l’ensemble des chambres donnaient sur une cour intérieure. Cour dans laquelle les moteurs d’une clim, installée sans leur accord, tournent à plein régime, l’été « où il fait 50 degrés à l’intérieur », sur des horaires allant de 4 heures du matin à 20 heures le soir.
« On est en ville et quand on est en ville, il faut être prêts à accepter du bruit, mais on avait quand même choisi un quartier calme, justement… », regrette l’un des propriétaires d’un immeuble jouxtant la boutique. Les deux parties ont mené des efforts, admet le propriétaire contacté par Actu Toulouse, mais un dossier suit toujours son cours en justice.
Des nuisances pour en sauver d’autres
Dur, dur de trouver un terrain d’entente. Quand les uns se plaignent d’un centre-ville où il devient « difficile de vivre de façon paisible », les autres aimeraient l’animer et faire tourner leur commerce sans être vu comme les « tapeurs nocturnes », tandis qu’au milieu, l’institution veut conserver « l’ADN d’une ville qui a une vie sur l’espace public et la tranquillité de ses habitants. »
D’autant que les deux quêtes ne sont pas forcément antinomiques. Selon Benjamin Serra, le gérant de la Prima Lova, place de la Bourse, l’arrivée des terrasses – et donc, du bruit — n’a pas été que négatif. « Avant l’Alimentation et les terrasses, il paraît que ce n’était pas agréable de passer par cette place la nuit, qu’il y avait souvent une dizaine de personnes au milieu qui embêtaient les gens. Au final, maintenant, c’est plus rassurant qu’avant. Les terrasses évitent qu’il y ait des bandes qui zonent. On s’y sent plus en sécurité ».
Paisible ne rime peut-être tout simplement plus avec calme…