Près de quarante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Marcel Lahana découvre une lettre rédigée à Auschwitz par un compagnon de déportation de son père. Dans ce témoignage bouleversant, l’homme retrace son calvaire et évoque avec émotion David, le père de Marcel. Aujourd’hui, le Toulousain revient sur cette révélation tardive qui a bouleversé sa vie.
Comme beaucoup d’enfants cachés, Marcel Lahana, aujourd’hui âgé de 87 ans, ignorait presque tout du destin de ses parents déportés pendant la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à ce jour de 1980.
Ce matin-là, une connaissance à lui, le patron du Pyrénéen, célèbre établissement toulousain, descend précipitamment d’un train en provenance de Nice. Il se rend directement chez Marcel et sa femme, Simone, au 54, rue Alsace-Lorraine. Le couple y tient une boutique de vêtements. « À neuf heures du matin, il entre dans le magasin avec un livre à la main, raconte Marcel. “J’ai un cadeau pour vous ! Ça, ça te concerne”, me lance-t-il, visiblement ému. »
« Il s’assoit sur une chaise et se met à pleurer. « J’ai des nouvelles de vos parents, nous dit-il » « , ajoute Simone. Le commerçant venait de lire dans le train un ouvrage acheté par hasard à la gare de Nice. Intitulé Les techniciens de la mort, et écrit par Ady Brille, un reporter américain, il retranscrit notamment une lettre bouleversante d’Hersz-Hermann Strasfogel, membre du Sonderkommando* à Auschwitz.
Retrouvé en février 1945, ce témoignage exceptionnel avait été enfoui dans une bouteille sous les fours crématoires.
« Un amour super-paternel »
Mine d’informations pour les historiens, la lettre retrace le parcours d’Hersz-Hermann depuis sa déportation et le terrible travail qu’on lui assigna. Conscient que sa fin approchait, il prodigue des conseils à ses proches et confie une dernière mission à sa femme : prévenir la famille de David, un ami décédé dans le camp, comme ils s’étaient promis de le faire. Cet homme, qu’il décrit comme « un ange », n’est autre que le père de Marcel. Ce dernier avait entendu parler de cette lettre dès 1947, sans jamais en connaître le contenu.
« Dites à sa famille qu’il pensait toujours à ses deux fils avec un amour super-paternel en les croyant naturellement sauvés en Espagne aussi à sa mère et à ses sœurs et beaux-frères. Il répétait toujours en détresse « Bon Dieu, bon Dieu, pourquoi me donnez tant de la peine, pitié, pitié… » et c’est moi qui l’ai consolé, lui qui ne savait ni allemand ni polonais ni yiddish, se trouvait toujours en mauvaise situation d’où je l’ai retiré mais je ne pouvais pas le sauver du transport, Dieu est mon témoin », écrit notamment Hersz-Hermann.
Il raconte que Rebecca, la femme de David, a été assassinée trois semaines après son arrivée, en mars 1943. Quant à David, il a été tué au début de l’année 1944, à Lublin. « Mon père avait été arrêté le 12 décembre 1942, rue d’Aubusson. Depuis Drancy, mes parents ont fait partie du convoi 49 en mars 1943 », précise Marcel.
Commerçants pendant 56 ans
Marcel et son frère aîné seront pour leur part cachés par des proches, notamment dans le Lot.
Des souvenirs d’enfance qui, malgré le contexte, conservent une part de joie : après des cours dispensés par sa tante le matin, le petit garçon partait chercher des champignons, capturait des grillons ou ramassait de la mâche. Après des études brillantes en littérature en Angleterre, Marcel reprendra le commerce familial à Toulouse en 1957. « De 1903 à 2013, à sa fermeture, il est resté avec le nom de Lahana. »
Bouleversée par ce témoignage venu du passé, Simone se lance pendant 10 ans dans une quête familiale à travers les archives. Marcel, quant à lui, partage son histoire avec les écoliers dès qu’il le peut. Il témoignera notamment le 24 avril prochain dans une école toulousaine.
Ces dernières années, plusieurs médias ont mis en lumière ce testament remarquable, tant pour sa puissance émotionnelle que pour son parcours hors du commun. L’auteur de la lettre, mal attribué pendant des décennies, n’a pu être identifié qu’en 2018, grâce au travail minutieux de Karen Taïeb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah.